Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur une grande échelle, dissipèrent bien des erreurs et servirent à jeter les fondemens de la géographie sous-marine. Il est pourtant vrai de dire qu’à part quelques cas isolés la sonde ne rapportait du fond de l’abîme que des nouvelles incomplètes, des messages tronqués. Cette pesante main ramassait sous les immenses couches d’eau certaines parcelles du sol, et dénonçait ainsi la nature des roches en voie de formation dans les muettes régions de l’océan. C’était tout ou presque tout ; la sonde avait très peu de chose à nous apprendre sur les mystères de la vie animale. Le hasard, il est vrai, cet aveugle promoteur des découvertes, lui venait quelquefois en aide. En 1860, la corde de l’appareil de sondage appartenant au navire le Bouledogue ramena un groupe d’animalcules attachés à la portion de cette corde qui avait reposé sur le lit de la mer à une profondeur de 1,260 brasses, et dans l’estomac de ces petits êtres organisés on trouva des êtres plus petits encore, qui avaient été absorbés. Autre révélation fortuite : en 1861, le câble du télégraphe sous-marin qui relie l’île de la Sardaigne à Alger ayant été soulevé pour des travaux de réparation, on découvrit des polypes vivans et des mollusques sur certaines parties de ce câble enseveli à des profondeurs de 2,000 et de 2,800 mètres[1]. Ces eaux étaient-elles donc habitées ? On avait longtemps douté qu’il en fût ainsi : l’opinion générale était que les minces coquilles recueillies de temps en temps à l’aide de la sonde avaient été amenées vides au fond de la mer par des courans, ou bien que les hôtes de ces coquilles vivaient près de la surface et tombaient après leur mort dans les mornes catacombes de l’océan. Y avait-il réellement une faune sous-marine ? La vérité est que la science ne concevait guère la vie à de telles profondeurs. Pour éclairer une question qui intéressait à un si haut degré la philosophie de l’histoire naturelle, la sonde était impuissante. Cet instrument avait rendu de grands services à la bathymétrie (mesurage des mers) ; pour soulever en quelque sorte le fond de l’abîme, il fallait lui substituer ou plutôt lui adjoindre un autre appareil. C’est alors qu’on eut l’idée de recourir à la drague.

Tout le monde connaît cette espèce de filet à manche dont se servent les pêcheurs de la côte pour ramasser dans le sable les coquillages. Il s’agissait d’approprier un tel engin aux manœuvres de la science dans les mers profondes. L’instrument ne suffisait plus : il y fallait le concours de puissantes machines qui devaient en quelque sorte l’animer, De même que la sonde, la drague ainsi perfectionnée est une main, mais c’est une main ouverte de Titan qui, non contente de glisser dans les ténèbres des ondes et de toucher le

  1. Les échantillons furent examinés par M. Milne Edwards, qui signala au monde savant les conséquences de cette découverte,