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fond, saisit sur le lit de la mer tout ce qu’elle rencontre. Savoir ce qui se passe et ce qui vit dans un élément interdit à nos moyens directs d’observation, telle était la noble curiosité, la religieuse ambition des naturalistes. Tout ce qui remonte de ces abîmes d’eau à la surface du vaisseau éclairé par le soleil est pour la science autant d’arraché à l’inconnu. Grâce à ces trois instrumens, la sonde, qui mesure les profondeurs, le thermomètre, qui constate les degrés de température dans les différentes couches d’eau, la drague, qui permet d’examiner à l’œil nu les matériaux de la vie sous-marine, l’homme a désormais les moyens de surprendre par une voie détournée le secret de l’océan.

On tient à connaître qui l’on fréquente. Les nations modernes que leur position géographique met plus particulièrement en rapport avec la mer, les États-Unis, la Suède, l’Angleterre, prirent l’initiative des recherches et des dragages qui devaient entr’ouvrir le voile sous lequel se cachent les arcanes de l’abîme. La mer n’est plus seulement le lien de l’industrie et du commerce, le trait d’union des climats, l’élément qui rapproche les distances et associe les races ; c’est aussi le champ de la fraternité pour les connaissances humaines. Presque en même temps (vers 1868), M. Sars, inspecteur des pêcheries du gouvernement suédois, le comte Pourtalès avec les ingénieurs hydrographes des États-Unis, le docteur William Carpenter et le professeur Wyville Thomson au nom de l’Angleterre, se mirent chacun de leur côté à explorer les eaux profondes. C’était à qui, sans avoir beaucoup consulté ses voisins, chercherait à s’emparer de l’abîme et à déchirer l’épais manteau de Neptune. M. Agassiz avait néanmoins proposé que l’amirauté anglaise s’entendît avec les autorités navales des États-Unis pour partager entre les deux nations l’examen de l’Atlantique du nord ; animés par un sentiment de généreuse rivalité, se tendant la main à travers les solitudes de l’Océan, les explorateurs anglais et américains poursuivraient ainsi dans l’épaisseur des ondes les conquêtes de la science. Il suffit quelquefois d’un coup de vent pour lacérer les traités politiques ; mais quel revirement pourrait atteindre des conventions fondées sur les intérêts mutuels des peuples navigateurs ? La connaissance des conditions de la vie dans les divers élémens de notre planète est en quelque sorte le patrimoine de tous. En attendant cette alliance désirable de l’ancien et du nouveau monde, nos voisins de la Grande-Bretagne se sont placés depuis 1869 à la tête du mouvement ; ils ont ouvert ou tout au moins élargi la voie des découvertes. Avant de signaler quelques-uns des résultats obtenus par les récentes recherches du docteur Carpenter et du professeur Wyville Thomson, il convient peut-être de dire comment s’organise une expédition scientifique en Angleterre.