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contemporains de cette ère surannée semblaient autant de formes perdues pour la vie (on oserait presque dire démodées), autant d’organismes détruits qu’on pouvait bien retrouver par millions à l’état fossile dans les carrières de craie, mais dont pas un ne vivait aujourd’hui dans les eaux de l’océan. En est-il réellement ainsi ? Ce qui a le plus frappé les explorateurs anglais, et ce qui mérite en effet toute l’attention de la science, est la ressemblance d’un dépôt calcaire qui existe dans les mers situées au nord des îles de la Grande-Bretagne avec la vieille formation de la craie dans les temps géologiques. Les sondages n’avaient d’abord indiqué que la présence d’une couche mince et superficielle, mais les larges dragues revinrent plus tard à la lumière remplies jusqu’aux bords d’une matière blanchâtre et de massives éponges englouties dans cette boue crayeuse. Aujourd’hui il n’y a plus moyen de douter qu’un tel lit ne soit d’une épaisseur considérable, et les dragages successifs pratiqués à divers endroits de la surface démontrent qu’il s’étend en outre sur une vaste zone. Ce dépôt se forme grâce à l’énorme quantifié de petits êtres placés très bas sur l’échelle de la vie, et dont les incessantes dépouilles l’enrichissent de jour en jour ; mais à côté d’eux se rencontre une assez grande variété d’animaux marins appartenant à un type plus, élevé. Parmi ces derniers, il en est même quelques-uns dont la conformation nous reporte en arrière, vers l’époque géologique de la craie. Quelle fut la surprise des naturalistes à la vue de ces revenans d’un ancien monde ! Des êtres qu’on croyait éteints, les descendans de la faune primitive (il n’est pas possible de le nier), habitent encore aujourd’hui le lit des mers profondes[1]. Il nous faut donc abandonner ou tout au moins modifier certaines opinions reçues sur les origines et les développemens de la vie. Il n’y a ni chaînons rompus, ni périodes terminées dans l’ordre des temps géologiques ; à certains égards, nous vivons encore dans l’âge crétacé. Ce qui est vrai de la craie l’est aussi des autres époques de la nature. La drague a rapporté de dessous la masse des eaux des types vivans qu’on n’avait retrouvés jusqu’ici que dans les couches oolithiques (variété

  1. C’est ainsi que parmi les mollusques on a trouvé deux térébratules, dont l’une au moins, la terebratula caput-serpentis, peut être certainement identifiée avec une espèce fossile de l’âge crétacé, tandis que la seconde (waldheimia cranium) est considérée par le docteur Carpenter comme représentant un autre type de cette famille si abondante dans la craie. Un habitant des mers qu’on supposait avoir été détruit se rencontre à une profondeur de 440 à 550 brasses dans la zone des eaux chaudes. Au lieu de l’inflexible cuirasse qui recouvre nos échinodermes, son test se compose de plusieurs plaques séparées les unes des autres par une membrane, on dirait une véritable cotte de mailles. Cet animal vivant présente une ressemblance frappante avec le fossile de la craie blanche décrit par le docteur Woodward sous le nom d’echinothuria floris. Que d’autres exemples on pourrait citer !