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d’après celles de chaque propriété particulière, qui diffèrent du tout au tout, il en résulte que les riches sont avantagés et les pauvres sacrifiés. En effet, celui qui n’a pas de bétail ne tire rien de l’alpe. Pour celui qui a vingt ou trente vaches à y envoyer, c’est un revenu considérable. L’usager qui a un grand chalet au village et un autre dans la montagne, des fenils et de vastes étables, a besoin de beaucoup de bois pour les entretenir et pour se chauffer. Il a droit à six gros arbres pour son feu et à autant de bois de construction que les experts l’auront jugé nécessaire. L’usager qui vit chez autrui n’a que deux sapins. L’égalité ne se retrouve que dans l’allotissement des terres cultivées. Ainsi que le dit très bien le pasteur Becker, c’est comme dans la parabole de l’Évangile : « à celui qui a, il sera donné, et il aura plus encore ; mais à celui qui n’a rien, cela même qu’il a lui sera ôté. » Ce système était très juste à l’époque où il n’y avait point du tout de propriété privée et où par conséquent chaque famille pouvait tirer les mêmes profits du bien commun ; mais aujourd’hui chaque usager jouit du domaine communal à peu près en proportion de l’étendue de ses biens propres. Le principe général étant qu’on ne peut envoyer sur le pâturage collectif que le bétail que l’on a entretenu l’hiver dans ses étables, il en résulte que celui qui n’a pas de prairie à lui pour récolter du foin ne peut nourrir du bétail l’hiver, et ainsi au printemps il n’en a point à faire monter sur l’alpe. Pour mettre au moins certaines bornes au privilège des plus riches en troupeaux, on a décidé que nul ne pourrait faire monter sur l’alpe plus de trente vaches ou leur équivalent ; mais cela n’a pas suffi, et depuis longtemps, ici comme à Florence, à Athènes et à Rome, « les grands et les petits, » les « gras et les maigres, » sont aux prises. Le débat a beaucoup de rapport avec celui qui mettait en lutte patriciens et plébéiens au sujet de la jouissance de l’ager publicus. Seulement, à l’inverse de ce qui existe dans la plupart de nos grands états, ici les « gras » sont en majorité. Sur 2,700 familles, 1,664 ont du bétail ; il n’y en a que 1,036 qui n’en ont pas. Les mécontens sont donc en minorité, et ni par le vote ni par l’emploi de la force, auquel ils n’ont du reste pas songé à recourir, ils n’ont pu obtenir le changement du régime primitif, qui date du temps où il n’y avait ni riches ni pauvres. Pour faire taire les réclamations les plus vives, on a donné à chaque usager 15 ou 20 ares de jardin pour y planter des pommes déterre, et ils ont d’ailleurs du bois pour les cuire et se chauffer. Comme en principe on reconnaît à chaque usager un droit de jouissance égale qu’il peut réclamer du moment qu’il réunit les conditions exigées, on devrait, pour se rapprocher de l’égalité, augmenter l’étendue de l’allmend cultivée, de façon qu’elle représentât un revenu égal à celui que donné l’alpe. C’est à peu