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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/636

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et par leur clarté, donnent pour ainsi dire le ton à tout le reste. C’est à ce titre que nous nous arrêtons d’abord devant la merveilleuse toile de M. Bonnat intitulée Scherzo.

Le sujet est des plus simples. Ce n’est au fond qu’une étude à deux personnages, d’après deux de ces jeunes paysannes des Abruzzes, bien connues dans les ateliers, où elles apportent avec leurs brillans costumes, un reflet du soleil d’Italie. Il n’y a aucun effort de composition ; les deux modèles ont posé devant le peintre dans la posture même où il les représente. Il a saisi sur le vif ce franc rire qui étincelle sur leurs visages comme la lumière dont elles sont enveloppées. Une belle jeune fille aux joues brunes, aux yeux noirs, est assise au grand soleil, la tête ombragée d’un mouchoir plié en quatre, à la romaine, et elle joue avec sa petite sœur, qu’elle tient renversée sur ses genoux. Rien de plus naturel et de plus charmant que le geste de l’enfant, qui se livre avec un abandon folâtre aux caresses enjouées de sa compagne. Rien de plus joyeux, de plus vivant, de plus éclatant de gaîté que cette tête riante, à demi noyée dans le clair-obscur, illuminée d’un rayon de soleil qui en frise les saillies. Tout est gai dans cette toile, tout brille de santé, de force et de jeunesse ; tout est pétri de soleil et inondé d’une chaude clarté. Rien ne s’y dérobe et ne s’y dissimule ; tout y est ferme, franc, réel, et, si j’ose ainsi parler, palpable aux yeux. Il est remarquable que M. Bonnat, à l’exemple de Murillo, dont il procède, ne recherche pas les couleurs voyantes, et qu’il sait produire les effets de lumière les plus vigoureux avec des teintes douces. Ce tableau du moins ne présente plus aucune des hardiesses un peu risquées qui pouvaient choquer les délicats dans ses premières œuvres. C’est un talent mûr, en pleine possession de lui-même, sobre et bien portant tout à la fois, sachant garder toute sa puissance sans commettre aucun excès pittoresque. Tout au plus pourrait-on relever une certaine uniformité de facture, particulièrement dans la main de la jeune fille et dans le petit bras que l’enfant laisse pendre sur les genoux de sa sœur, on n’y sent peut-être pas assez la différence des âges. Cela dit, on peut faire l’éloge de cette peinture en un mot ; elle ne fléchirait pas, dans un musée, entre un Murillo et un Velasquez.

C’est presque de la cruauté que de parler de la Bretonne en pèlerinage de M. Jules Breton après les Italiennes de M. Bonnat, et nous craignons que la comparaison ne nous rende trop sévère : non pas que M. Jules Breton ne soit un artiste du talent le plus élevé, du goût le plus pur, un profond observateur de la nature, à la fois un réaliste et un poète ; mais l’aisance et la largeur du dessin, la puissance du modèle, l’harmonie et l’éclat des couleurs, toutes ces qualités brillantes et faciles qui surabondent chez M. Bonnat sont