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d’elles, au premier plan, s’assied à demi sur le bord du puits, croisant ses mains sur son épaule et renversant en arrière sa tête endormie et ses longs cheveux blonds ; une furie, accroupie à ses pieds, la gourmande et lui enfonce ses ongles crochus dans la jambe. De l’autre côté, une de ses sœurs se laisse tomber de lassitude contre la margelle du puits et ferme avec un air de résignation désespérée ses yeux vaincus par le sommeil ; une autre furie, celle-là d’un dessin mou et sans vigueur, la tire impitoyablement par les cheveux et la frappe de ses serpens enroules. Les autres victimes se meuvent languissamment, au second plan, d’un air que le peintre aurait voulu rendre farouche, et qu’il n’est parvenu qu’à rendre boudeur. La figure placée debout sur le premier plan est lourde et sans noblesse ; celle qu’on aperçoit dans le fond, tournant le dos au spectateur et lui lançant un coup d’œil sombre par-dessus son épaule gauche, est affectée, sinon vulgaire, et vise à l’effet sans l’obtenir. Déjà dans le tableau du Siège de Corinthe les admirateurs de M. Robert-Fleury voyaient avec chagrin un certain raffinement qui dissimulait mal l’absence d’une pensée forte et simple. Qu’il y prenne garde, la simplicité est la première condition du grand art.

Pour se réconcilier avec le talent de M. Robert-Fleury, il suffit de s’arrêter un instant devant la toile de M. Picou, Psyché aux enfers. M. Picou a été jadis, on s’en souvient peut-être, un des meilleurs élèves de Delaroche et l’un des successeurs désignés de M. Ingres. Rien n’est plus triste à voir que la décadence de cette grande école de dessin classique qui a laissé si peu d’héritiers, et qui s’est montrée tellement impuissante à former des élèves sérieux. Il y avait sans doute en elle une cause de stérilité cachée. Toujours est-il que, depuis le regretté M. Flandrin, elle n’est plus guère représentée par personne. Les réapparitions de plus en plus rares de ceux qui lui sont restés fidèles ne servent qu’à faire voir sa décrépitude. M. Picou nous montre cette année, dans une toile immense et vide, une toute petite Psyché en robe blanche, avec des cheveux rouges teints à la dernière mode, qui chemine sur une pente couverte de neige, aboutissant à un abîme de feu. Au fond, sur une sorte de gradin de rocher informe, trois silhouettes bizarres et colossales assises en triangle font des grimaces qui expriment la stupéfaction ; ce sont, paraît-il, les trois Parques, et elles se communiquent les unes aux autres l’étonnement que leur inspire l’audace de cette minuscule créature égarée au fond de leur royaume. Ces trois figures de mégères accusent une grande naïveté chez l’artiste qui les a sérieusement conçues et sérieusement offertes aux regards du public ; elles figureraient aussi bien dans les bouffonneries mythologiques de nos petits théâtres. Quant à la Psyché, je ne sais si elle est