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chaleur, ce quelque chose est une réalité distincte de la trajectoire elle-même, et cependant rien, absolument rien, en dehors de la révélation intérieure de notre âme, ne nous donne le moyen de comprendre ce que peut être cette raison initiale des vertus motrices. L’illustre fondateur de la théorie mécanique de la chaleur, Robert Mayer, définit la force : tout ce qui peut être converti en mouvement. Aucune formule n’exprime aussi bien le fait de l’indépendance et de la prééminence de la force, et ne renferme un aussi ferme aveu de la réalité essentielle d’une cause préexistante de mouvement. L’idée de force est une de ces formes élémentaires de penser à laquelle nous ne pouvons nous soustraire parce qu’elle est la conclusion nécessaire, le résidu fixe et indestructible de l’analyse du monde dans le creuset de notre esprit. L’âme ne la découvre point par des raisonnemens discursifs, et ne se la démontre point à elle-même par voie de théorème ou d’expérience, elle la constate, elle y adhère par une naturelle et invincible affinité. Il faut dire de la force ce que Pascal disait de certaines notions fondamentales du même ordre : « En poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu’on ne peut plus définir, ou à des principes si clairs qu’on n’en trouve plus qui le soient davantage. » Quand on est arrivé à ces principes, il ne reste plus qu’à se contempler soi-même dans un recueillement profond, sans vouloir donner une image à des choses dont l’essence est de ne pouvoir être imaginées. Au point de vue le plus général et le plus abstrait, la matière est donc tout à la fois forme et force, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de différence essentielle entre ces deux modes de la substance, La forme n’est que de la force circonscrite, condensée, La force n’est que de la forme indéfinie, diffuse, Tel est le résultat net des investigations méthodiques de la science moderne, et qui s’impose à l’esprit en dehors de toute préméditation systématique. Il n’est pas indifférent d’ajouter que le mérite de l’avoir très distinctement formulé et d’en avoir marqué l’importance revient à des philosophes français contemporains, et surtout à MM. Charles Lévêque et Paul Janet[1].


II

Si la trame des choses, si l’essence de la matière est une substance unique, à l’appel et sous le charme de quel Orphée ces matériaux se sont-ils rangés, groupés, diversifiés en natures de tant

  1. Voyez les études de M. Charles Lévêque, la Nature et la philosophie idéaliste, — Revue du 15 Janvier 1867 ; — l’Atome et l’esprit, — Revue du Ier juin 1869. — Voyez aussi le Matérialisme contemporain, par M, Paul Janet, in-18,1865.