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La seule chose qui pût arrêter encore Ibrahim, c’était le danger d’affronter avec des navires mal armés les rigueurs de l’hiver. Un soldat habitué à ne prendre conseil que de son audace ne recula pas devant cette entreprise. Le 13 novembre 1824, poussée par un vent favorable, la flotte égyptienne voyait enfin surgir à l’horizon les montagnes de la Crète. Miaulis, avec vingt bricks, apparut tout à coup en travers de sa route. Les transports marchaient en avant sous l’escorte d’une frégate ; ils se hâtèrent de serrer le vent pour se replier, s’il en était temps encore, derrière les navires de guerre : cinq bricks grecs avaient déjà entouré la frégate ; les autres s’élancèrent à la poursuite des transports. La nuit vint, nuit sombre et pluvieuse : quand le jour se fit, Ibrahim, à l’abri sous Scarpanto, chercha vainement des yeux son convoi ; plusieurs de ses transports étaient tombés entre les mains de Miaulis ; les autres faisaient route pour Alexandrie. Ibrahim dut se résigner à rétrograder. Il alla mouiller en face de Rhodes dans la baie de Marmorice et y rallia les débris de sa flotte. Là il dégrada onze de ses capitaines ; mais il ne renonça pas à l’exécution de ses projets. Depuis son départ d’Alexandrie, il avait perdu deux frégates, deux corvettes, deux bricks, cinquante bâtimens de transport. Le 5 décembre, il sortait de la baie de Marmorice, et cette fois il trouvait, — fortune inespérée, — la route libre. C’est ainsi que, grâce à la prodigieuse constance de son chef, la flotte égyptienne put, dans les derniers jours de l’année 1824, atteindre la rade spacieuse et sûre de la Sude. La partie la plus difficile du trajet était accomplie. Ibrahim n’avait plus qu’une cinquantaine de lieues à parcourir pour aborder au rivage de la. Morée.

Les Grecs à cette date se berçaient des plus doux espoirs et sommeillaient dans une sécurité complète. « Les succès éclatans que les insurgés ont obtenus cette année, écrivait M. de Reverseaux, le 15 décembre 1824, au retour d’une mission accomplie sur la corvette l’ Isis, ont consolidé l’édifice de leur régénération. Fiers d’avoir pu résister aux armées réunies du capitan-pacha et du vice-roi d’Égypte, ils ne se rappellent plus le découragement que leur a causé la chute d’Ipsara. » Sous plus d’un rapport cependant, la campagne maritime de 1824 était loin d’avoir été aussi favorable aux Grecs que le pensait M. de Reverseaux. Les escadres de Miaulis, de Sachtouris, d’Apostolis, avaient, il est vrai, fait échouer l’expédition qui menaçait Samos. Le sacrifice de vingt-deux brûlots leur avait permis d’achever la destruction de sept bâtimens turcs, mais les dernières ressources financières des insulaires étaient épuisées. C’est surtout parce qu’ils ne pouvaient plus payer leurs équipages que les Grecs avaient pris le parti de désarmer leur flotte, laissant,