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Santa-Rosa voulant donner sa vie à la Grèce moderne, parce que la Grèce antique a été « la patrie de Socrate, » s’effrayant dès ses premiers pas du désordre affreux qui règne dans l’armée, se blâmant de ses illusions, n’espérant plus rien de son sacrifice, et marchant cependant d’un pas ferme à la mort, telle est en abrégé et dans son plus attendrissant exemple toute l’histoire du philhellénisme. Généreuse folie qui ne sut pas dans ses regrets et dans ses désappointemens rester juste !

Sur les 1,000 ou 1,100 hommes qui composaient la garnison de Sphactérie, 350 avaient été tués, 200 faits prisonniers. Le reste, franchissant le gué de Sikia, trouva un refuge dans l’enceinte du vieux château féodal qui domine d’un côté la mer Ionienne et le port, aujourd’hui comblé, de Pylos, de l’autre la plaine de Likos et l’étang de Dagh-Liani. Cinq bricks mouillés sur rade avaient appareillé aussitôt que l’escadre égyptienne s’était montrée à l’ouvert de la baie de Navarin. Le brick du capitaine Tsamados s’obstina seul à attendre le retour de son capitaine. Les embarcations de ce bâtiment purent ainsi recueillir Mavrocordato et quelques autres passagers. Trente-quatre navires de la flotte égyptienne occupaient en ce moment les abords de Navarin ; il fallut passer sous leur canon pour sortir de la rade. Prêt à se faire sauter, si quelque avarie de mâture, le laissait par malheur à la merci des Turcs, l’équipage du Mars traversa en quelque sorte avec impunité la double et triple ligne qui lui barrait la route. Il n’y eut que 2 hommes tués et 7 blessés à bord d’un brick qui avait essuyé presque à bout portant le feu de plusieurs frégates.

L’absence de Miaulis avait livré l’île de Sphactérie à Ibrahim. Le 12 mai, quatre jours après cette fatale affaire, Miaulis reparaissait devant Modon avec cinquante-huit voiles. Profitant d’un vent favorable, il lança six brûlots à la fois sur les bâtimens égyptiens. Une magnifique frégate, l’Asia, construite à Deptford, deux corvettes et quatre transports devinrent à l’instant la proie des flammes. Le succès eût été complet, si la majeure partie de la flotte d’Ibrahim n’eût mis sous voiles au moment de l’attaque. Il eût été complet surtout, s’il eût pu sauver la citadelle assiégée ; mais déjà le 10 mai le vieux fort de Pylos, assailli par terre et par mer, avait capitulé. Grossie de tous les fuyards échappés au massacre de Sphactérie, la garnison qu’occupait ces ruines se composait de 786 hommes. Elle obtint de s’éloigner aussitôt qu’elle eut mis bas les armes. Pour la première fois, le vainqueur se montrait fidèle à sa parole. Cette politique habile ne devait pas tarder à porter ses fruits. Les soldats rouméliotes qui défendaient la citadelle de Navarin, informés du. traitement favorable accordé à leurs compagnons, cessèrent de