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frégates, nous apprend un officier autrichien, le major Bandiera, composaient une ligne de bataille bien ordonnée qui gêna considérablement l’action des Grecs. Cinq bricks et deux brûlots réussirent cependant à tourner cet obstacle. Ils se portèrent à la rencontre d’un brick turc ; le Turc se défendit avec le plus grand courage et donna aux autres bâtimens le temps de venir à son aide. La canonnade dura ainsi vivement soutenue pendant une heure entière ; au bout de ce temps, s’il faut en croire le major autrichien, « les Grecs virèrent de bord dans un désordre extrême et cherchèrent à s’éloigner du combat. » Le 5 juillet, le convoi égyptien et les deux flottes qui l’avaient escorté mouillaient en sûreté dans le port de Navarin ; c’était le quatrième convoi qui apportait des troupes et des munitions en Morée. Les brûlots, — la question ne faisait plus malheureusement l’objet d’un doute, — n’avaient pas la puissance d’arrêter la masse d’une flotte. Cette triste découverte ne pouvait manquer de porter le découragement dans bien des cœurs ; ce qui était plus inquiétant encore, c’est que les Turcs semblaient enfin avoir trouvé un homme. « Tout ici, écrivait le capitaine de Rigny, tient à Ibrahim ; sa mort serait le plus grand succès que les Grecs pussent espérer, — et il s’expose bien témérairement, » ajoutait le commandant de la Sirène, Ibrahim s’exposait en effet avec une légèreté ou une intrépidité sans exemple ; mais le ciel vérifiait pour lui le fameux proverbe arabe : « il n’y a que la fatalité qui tue. »

Maître de Navarin, Ibrahim n’avait plus qu’à s’avancer dans l’intérieur du pays. Tout fuyait devant ses troupes ; sur aucun point, il ne rencontrait de résistance. Les Moréotes demandaient à grands cris Colocotroni ; on fit venir Colocotroni d’Hydra. Une proclamation du gouvernement, en mettant ce chef populaire à la tête des troupes, appela tous les Grecs aux armes. Des sermens d’union, des promesses d’oubli furent échangés ; ces vaines cérémonies n’étouffèrent pas les germes des anciennes discordes.

Campé le 20 juin à Nisi, dans la plaine qu’arrose le Pamisus, Ibrahim arriva le 26 à Argos, après avoir franchi les défilés de Scala, Leondari, Tripolitza, le col du mont Parthenis. Forcés sur tous les points qu’ils tentaient de défendre, les Grecs se retiraient en brûlant les récoltes ; la terreur était à Nauplie. Une attaque infructueuse que fit un détachement d’Ibrahim sur les moulins de Lerne rendit quelque courage aux Grecs. On s’efforça de grossir le résultat de cette insignifiante affaire ; on porta la perte des Égyptiens à quelques centaines de morts, quoiqu’en réalité ils n’eussent perdu que deux hommes. Le surlendemain, Ibrahim, pressé par le manque de vivres et ne voyant point paraître sa flotte, rétrogradait sur Tripolitza, ou, pour mieux dire, sur ses