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Il faut cependant faire une exception pour M. Langerock. Sous ce titre, Souvenir des Vosges, ce peintre peu connu jusqu’à ce jour nous offre aussi une rivière sous bois. Seulement la couleur de M. Langerock est vive et forte ; ses dessous de forêt et ses broussailles sont d’une fraîcheur vigoureuse qui n’emprunte rien de sa vigueur à la crudité de la verdure. Enfin le soleil y pénètre par mille petites trouées invisibles, couvrant tout de ses paillettes d’or, se mirant dans les eaux, frisant les feuilles et les menus branchages, se reposant çà et là sur les écorces des hêtres, qu’il blanchit d’un reflet lumineux : c’est un fouillis où l’œil se promène sans aucune confusion. Sur les eaux calmes et sombres, mais transparentes et réfléchissant la verdure de leurs bords, un homme vêtu de rouge passe dans un bateau et donne la note à toute la toile. Le grand défaut de ce tableau est que les morceaux de ciel entrevus à travers les branches sont diffus et brouillés ; cette maladresse étonne d’autant plus que tout le reste dénote un grand savoir-faire et une rare habileté de main.

M. Chintreuil est également un artiste original, mais trop adonné aux mêmes sujets. C’est le peintre des averses, des brouillards, des giboulées, des rayons de soleil entre deux pluies d’orage. Si l’on voulait définir son genre, il faudrait l’appeler le paysage météorologique. Son tableau de Pluie et soleil représente une grande plaine de pâturages où des bestiaux errent en liberté. Des soupçons de rayons de soleil, échappés entre deux nuages, frisent l’herbe de place en place ; des vapeurs pluvieuses traînent et rasent la terre. Au fond, par une éclaircie momentanée, se découvre un vaste pan de ciel jaune et mouillé. — La Marée basse, du même peintre, est un embrasement confus dans un ciel orangé, dont l’éblouissement froid et faux écrase des premiers plans mous et incertains. Décidément M. Chintreuil tourne lui-même au météore.

On ne rend pas pleine justice au talent simple et franc de M. Jules Héreau. Peut-être est-il moins bien inspiré par le ciel d’Angleterre que par le ciel de France ; ses deux tableaux des bords de la Tamise n’en sont pas moins d’une grande vérité. Les Environs de Gravesend surtout sont un portrait frappant du paysage et du climat d’outre-Manche. Tout n’y est pas agréable à l’œil : les vapeurs noires des steamers se mêlent aux vapeurs noires du ciel ; les blancheurs blafardes de la plage contrastent un peu durement avec les crudités d’une verdure implacablement fraîche et éternellement lavée par la pluie. La Tamise près de London-Bridge est également pâle, brumeuse, vaguement rosée, et elle coule sous un ciel tout brouillé de fumée. Nous comprenons, sans la partager, la répulsion du public pour ces tristes paysages, et nous avons hâte d’aller