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réchauffer nos yeux sous un soleil plus franc et plus vif en accompagnant M. Pasini sur le Marché de la mosquée de Yeni-Djami, à Constantinople.

M. Pasini est, avec feu M. de Tournemine, l’un des derniers représentans d’un genre aujourd’hui un peu délaissé, mais qui a brillé pendant quelque temps d’un vif éclat, le genre orientaliste. Son coloris, plus franc que celui de M. Fromentin, plus sincère et plus sobre que celui de M. Ziem, est cependant loin de valoir celui du maître de cette école, l’inimitable Marilhat ; en revanche, il a de l’élégance, de l’harmonie, une légèreté de pinceau étonnante et une grande facilité de composition. Son Marché de Constantinople manque peut-être un peu de lumière, et le ciel en est trop bruni par les chaudes vapeurs de l’été ; ce n’en est pas moins un charmant tableau. Au pied d’un édifice entouré de plusieurs étages de galeries à ogives moresques, sous de grands platanes aux vastes ombrages, se presse la foule bariolée des acheteurs et des vendeurs. Les marchands accroupis auprès de leurs brillans étalages, les grands seigneurs assis sur de riches tapis et fumant leur chibouque, avec leurs armes posées à côté d’eux sous leur main, tout en faisant leurs emplettes, les monceaux d’étoffes voyantes, les poteries, les fruits, les calebasses, les chevaux tout sellés qui attendent, les femmes à demi voilées qui vont et viennent, l’ombrelle à la main, tout ce joyeux désordre est plein d’éclat et d’harmonie. Il y a plus de soleil encore dans la petite toile appelée Souvenir d’Orient ; grâce aux vigoureuses ombres portées que le sujet permettait d’employer, cette toile est véritablement éblouissante. Elle représente une arcade sombre qui s’ouvre à la porte d’un palais ou d’une mosquée, dans une muraille revêtue de faïences bleues. Sous l’embrasure de la porte, et déjà dans l’ombre de l’auvent qui la surmonte, un homme en manteau rouge conduit en laisse deux chevaux au poil fin et soyeux ; la masse seule en est indiquée, mais l’effet de couleur en est merveilleux. A côté de la porte, au grand soleil, un vieillard, mendiant ou pèlerin, adossé à la muraille tient son chapelet à la main. Cette description est déjà trop longue, et cependant elle ne décrit pas ce qu’on ne saurait décrire, l’effet surnaturel de cette inondation de lumière dont les yeux restent éblouis.

Il y a aussi du soleil, mais un soleil doux et tempéré, dans les paysages blancs, bleus et nacrés de M. Masure. Ce sont toujours des vues prises sur les calmes rivages du golfe Juan et d’Antibes. Les marbrures lumineuses des eaux transparentes qui clapotent sur les bas-fonds des rochers, les ombres irisées des petites vagues qui rident la surface de la mer, l’effet de délicate blancheur qui résulte