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n’a pas grand caractère : elle représente un troupeau de buffles que leur conducteur à cheval pousse à coups d’aiguillon et force à passer le gué d’une rivière. Ce berger calabrais est bien insignifiant malgré son costume ; ces petits buffles groupés par paquets, qui meuglent avec terreur ou roulent des yeux farouches, sont plus lourdauds et plus amusans que terribles. Quant au paysage, il n’a aucune grandeur ; mais l’ensemble est animé, vivant, spirituel, selon la coutume de M. Palizzi. Pourquoi ne)Jas le dire sans détour à ce peintre aimable et facile ? Il n’est, malgré son origine, qu’un Italien de contrebande, plus champenois que calabrais, et la campagne française, avec ses gaîtés et ses grâces bourgeoises, lui convient mieux que la campagne de Rome ou les marais de Pœstum. — M. Schenck est moins léger et moins aimable, mais il n’est guère plus profond ; son exécution correcte, soigneuse, savante, irréprochable, manque absolument de pittoresque. Il y a cependant quelque physionomie dans son âne servant d’abri à des moutons pressés autour de lui dans un pâturage d’Auvergne ; il y a même un certain sentiment dans ses moutons perdus, à demi engloutis par une tourmente de neige, et surtout dans les deux chiens de berger qui se pressent en frissonnant l’un contre l’autre.

Un autre animalier bien connu, M. Richard Goubie, montre un vrai talent de paysagiste dans son Hallali au vivier du Grès. On oublie volontiers le groupe des chiens et des chasseurs, traité d’ailleurs avec une grande finesse et une véritable distinction, pour considérer un étang aux eaux calmes, un grand cirque de forêts dépouillées, un ciel d’hiver gris et fin, troué çà et là de lumineuses échappées blanches. — Le Hallali de sanglier de M. Gélibert est d’un tout autre style : c’est une toile aussi vaste que celles d’Oudry, où le paysage s’efface, derrière une meute de chiens qui se découpe sur le ciel. Les chiens sont d’une peinture très vigoureuse et très vraie ; cependant le sanglier, malgré ses yeux injectés, son poil hérissé, et l’ennemi terrassé qu’il vient de découdre, ne se détache pas du groupe avec assez de vigueur.

Avant de quitter le salon de peinture, consacrons encore quelques instans à cet autre genre de paysage qui s’appelle la nature morte, La nature morte est, comme de raison, le royaume du pittoresque, et ce genre tant méprisé il y a quarante ou cinquante ans, du temps où la renaissance romantique se greffait sur l’art académique et pompeux du commencement du siècle, est devenu au contraire le genre favori du public depuis que le goût de la peinture de style a fait place à la passion du pittoresque. Il nous semble cependant que cette passion se refroidit, et que les maîtres de la nature morte ne sont plus eux-mêmes aussi bien inspirés que jadis.