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de la nature, à la fois avide et étonnée de vivre, et la majesté sereine de la femme qui porte dans ses flancs le germe de mille générations humaines. La critique a beau dire : on reste en contemplation devant cette statue comme devant toutes les choses vraiment belles.

Le contraste est certes moins grand entre le buste et le corps de l’Eve naissante qu’entre le talent de M. Dubois et celui de M. Barrias. Si M. Dubois procède à la fois de Luca della Robbia, de Benvenuto et de Raphaël, M. Barrias, quant à lui, procède de Michel-Ange, ou s’efforce du moins de marcher sur ses traces. M. Dubois a mis des années entières à méditer sa statue, il a voulu faire un chef-d’œuvre, et peu s’en faut qu’il n’ait réussi. M. Barrias, artiste fougueux et abondant, plein d’idées, aussi prompt à exécuter qu’à concevoir, enfante chaque année une foule d’ouvrages où ne manquent assurément ni le génie de la composition, ni la grandeur de la pensée, et qui seraient peut-être aussi des chefs-d’œuvre avec un peu plus de conscience et de labeur. Le grand défaut de M. Barrias est une certaine lourdeur prétentieuse qui tient à une exagération systématique et à l’affectation d’une fausse vigueur. Il y a chez lui bien plus de Puget que de Michel-Ange, et cependant Puget lui-même était plus ferme et moins boursouflé. M. Barrias est bien loin d’avoir la prodigieuse puissance de Puget ; ajoutons pourtant qu’il a une noblesse de style qui faisait complètement défaut à ce maître quelque peu emphatique et parfois vulgaire. C’est vraiment dommage qu’il ne puisse pas ou ne veuille pas serrer de plus près la nature.

Son groupe en plâtre, la Charité, n’est pas exempt de ses défauts ordinaires, mais il les efface au premier abord par une grandeur d’aspect incomparable. La Charité est représentée par une forte femme, au visage noble et fier, largement drapée dans de longs voiles aux plis graves et religieux. Elle est assise, et tient sur ses genoux, de la main gauche, un petit enfant qu’elle allaite, tandis que l’autre bras s’étend d’un mouvement protecteur sur un jeune garçon qu’elle entoure de la main droite et qu’elle tient adossé à ses genoux, sur l’un desquels l’enfant s’accoude avec un geste de confiance et de fierté ; elle abaisse en même temps sur lui un regard vigilant et tendre. L’attitude de cette figure est souverainement protectrice. Le jeune garçon, qui est visiblement un fils de Michel-Ange, embrasse cette main puissante et maternelle posée sur sa poitrine comme pour le garantir, et il se redresse avec une expression déjà fière et mâle, trop fière même pour un pauvre enfant abandonné ; il y a une sorte de défi dans le port de sa tête et dans son regard, comme s’il était enorgueilli de la protection qu’on lui prête, et presque glorieux d’avoir trouvé une mère. Le nourrisson, blotti