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en raccourci ses formes tendres et voluptueuses, et pour que le spectateur n’ignore point qu’elle est déshabillée, elle tient un bout de draperie sous son bras. Le tout rappelle les mignardises de M. Carrier-Belleuse, quoique avec plus de simplicité, de sentiment et de décence ; mais ces exhibitions de nudités chastement provocantes ne manquent jamais leur effet sur le public, témoin le Premier Miroir de M. Baujault, l’auteur d’un exécrable buste de Meyerbeer, dont va s’enrichir le palais de l’Institut. Une jeune fille se penche, en arrangeant ses cheveux, sur le miroir d’une fontaine. C’est du Canova maigri, arrondi, amolli, déformé et limé avec tout le sentiment d’un tourneur en bois. Sans les reflets du marbre, qui plaisent toujours à l’œil, cette nudité ne supporterait pas le regard.

Avant de quitter les statues pour passer aux portraits, jetons un dernier coup d’œil sur ce que j’appellerai les œuvres excentriques. On y trouve quelquefois plus d’un vrai talent qui s’égare, et dont les extravagances ne sont que l’abus de facultés heureuses. Tel est par exemple M. Captier. Sa Judith triomphante en plâtre jauni passe toute description. C’est une créature colossale, à tous crins, une sorte de mannequin monstrueux au visage farouche, à l’expression forcenée, comme engloutie au fond de la caverne obscure que forme la couronne de lauriers posée sur sa tête. On ne peut nier qu’il n’y ait dans cet arrangement une certaine entente brutale de l’effet mélodramatique ; mais l’emphase en est si extravagante qu’elle ne réussit qu’à faire rire. L’année dernière, M. Captier rachetait sa violence et son mauvais goût par de réelles qualités de facture ; il n’en est pas de même cette fois, et sa fougue l’entraîne à des fantaisies qui n’ont plus rien de sculptural. Nous voudrions pouvoir le refroidir en lui proposant pour exemple le Boxeur de M. Jannin, statue froide, flegmatique, sans pittoresque et sans idéal, pour ainsi dire toute britannique de facture et d’aspect, mais sage, bien campée, solidement construite, ne disant pas grand’chose à l’esprit, mais lui disant tout ce qu’elle veut lui dire en langage clair, net et sain, sans fioritures ni déclamations inutiles.

Nous ne pouvons faire le même compliment à M. Bartholdi pour sa gigantesque statue de Lafayette, qui est bien l’un des plus mauvais morceaux du Salon. Cette longue figure maigre et creuse, qui s’avance, la main sur le cœur, avec un sourire béat dur les lèvres, transforme le héros dont elle veut immortaliser l’image en une sorte de benêt dégingandé ; elle rappelle le mot cruel d’un des ennemis de Lafayette : « c’est Gilles républicain ! » Ce ne serait rien encore, si cette figure pouvait se tenir, si elle avait une forme quelconque, si elle n’était semblable à un assemblage de bâtons mal emmanchés qu’on aurait habillés d’un uniforme. Pour punir M.