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gouverneur, sans partager la confiance du général de Bellemare, se laissait aller par nécessité, subissant ce qu’il n’avait pas autorisé. Malheureusement aussi l’exécution des ordres donnés pour un envoi d’artillerie éprouvait quelque lenteur.

Tout devenait contre-temps. Le général Trochu avait certes raison dans les tristes pressentimens dont il se sentait agité. Ce n’était pas fini en effet. Les Prussiens, pour qui Le Bourget était le seul poste d’observation en avant du front de la garde, les Prussiens étaient décidés à reprendre le village à tout prix. Le 30 octobre, à six heures du matin, nos soldats de ligne et nos mobiles du 14e et du 16e bataillon de la Seine se trouvaient surpris à leur tour après avoir surpris les Allemands deux jours auparavant ; ils étaient criblés d’obus par une formidable artillerie qui venait d’ouvrir son feu. Sortant de leurs abris, ils se voient assaillis de tous côtés par des masses d’infanterie qui s’avancent. L’ennemi, avec neuf bataillons de la garde déployés en trois colonnes, marche sur Le Bourget ; il y entre en force, non sans rencontrer une violente résistance qui lui fait éprouver les pertes les plus sérieuses. Nos jeunes soldats se battent énergiquement ; le commandant Ernest Baroche, à la tête de ses mobiles de la Seine, va au-devant de la mort plutôt que de se rendre. Bientôt cependant les masses prussiennes débordent de toutes parts, on est menacé d’être coupé de Saint-Denis, et on est obligé de se retirer en laissant nombre de mobiles et de francs-tireurs prisonniers. Les forts venaient en aide à cette retraite désastreuse. Le Bourget une fois perdu, Drancy, qu’on avait occupé, mais qu’on n’avait pas eu le temps de mettre en état de défense, ne pouvait tenir sous un feu épouvantable qui s’ouvrait tout à coup. De ce côté aussi, il fallait se retirer. C’était assurément une journée cruelle, peu compromettante au point de vue de la défense générale, douloureuse au point de vue moral parce qu’elle était une déception, et faite pour avoir un retentissement pénible à Paris parce que les mobiles de la Seine avaient particulièrement souffert, de telle façon que tout se réunissait : capitulation de Metz, armistice au caractère inconnu, perte du Bourget, trois circonstances de nature à émouvoir une population toujours frémissante et à servir de prétexte aux agitateurs ; le 31 octobre est là tout entier.


IV

C’était une journée pluvieuse et sombre. Dès le matin, quelques-uns des membres du gouvernement s’étaient rencontrés au ministère des affaires étrangères pour s’entendre définitivement avec M. Thiers sur les conditions de l’armistice qu’on allait négocier. Pendant que cette grave question s’agitait au quai d’Orsay, il