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jours plus tard par un plébiscite où il obtenait une sorte d’unanimité. C’était là le résultat intérieur d’une journée qui pouvait préparer la chute de Paris par l’avilissement de la guerre civile ; mais quelle influence le 31 octobre allait-il avoir sur la négociation confiée à M. Thiers, qui était reparti pour Versailles le même jour, à quatre heures du soir, au moment où l’on ne savait plus s’il y avait un gouvernement de la défense nationale ?

Chose curieuse et qui peint l’étrange situation créée par la guerre : à Versailles, à cinq lieues de distance, ni le 31 octobre au soir, ni les premiers jours suivans, on ne savait ce qui se passait à Paris. M. Thiers était parti, comprenant bien qu’il laissait derrière lui un orage, mais sans trop soupçonner la gravité du mouvement. Il pensait que c’était une crise à laquelle il fallait s’attendre et que le gouvernement traverserait sans y rester. M. de Bismarck lui-même ignorait-il réellement l’affaire du 31 octobre ? Affectait-il simplement de l’ignorer pour prendre le temps de donner quelque satisfaction à l’Europe par une apparence de conciliation, en se réservant secrètement le prétexte qu’on venait de lui fournir pour élever quelque difficulté nouvelle quand il le voudrait ? Toujours est-il que dès le lendemain de l’arrivée du plénipotentiaire français la négociation s’ouvrait, et elle paraissait marcher vers une solution favorable. Il restait, il est vrai, une question des plus sérieuses, la plus sérieuse de toutes, si l’on veut, celle du ravitaillement, de l’approvisionnement de Paris pendant l’armistice ; mais elle ne semblait nullement insurmontable, le principe était accepté, et dans les évaluations qu’il avait présentées M. Thiers s’était réservé une marge suffisante pour pouvoir faire des concessions. Tout paraissait donc s’acheminer vers un dénoûment heureux, lorsque le 3 novembre M. Thiers, arrivant chez M. de Bismarck, le trouvait agité et sombre. « Avez-vous des nouvelles de Paris ? dit aussitôt le chancelier, il y a eu une révolution, un nouveau gouvernement est installé à l’Hôtel de Ville ! » Dès lors, à travers des regrets plus ou moins sincères, M. de Bismarck laissait entrevoir la pensée que tout pouvait être compromis, que les concessions déjà faites pourraient être retirées. Sans se laisser décourager, M. Thiers proposait d’envoyer un émissaire, qui se rendait effectivement à Paris et qui en revenait le lendemain exposant fidèlement la situation, la suite des événemens couronnés par la victoire du gouvernement ; mais déjà le mal était fait, et il avait été aggravé par l’arrivée à Ver-saules d’une proclamation de M. Gambetta qui avait exaspéré le parti militaire allemand. Ni le roi ni l’état-major ne voulaient plus d’un armistice auquel ils n’auraient consenti dans tous les cas qu’en excluant toute condition de ravitaillement pour Paris.