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mémoire, elles y formeront avec le temps un riche et vaste répertoire où il retrouvera, dans toute conjoncture difficile, d’utiles points de comparaison, quelque souvenir du passé qui lui fera comprendre le présent et deviner l’avenir. Ainsi s’acquièrent cette expérience des hommes et cet art de les manier, ce sang-froid et ce coup d’œil qui nous frappent aujourd’hui chez les plus illustres vétérans du barreau français et de nos assemblées politiques.


III

Parmi ceux qui, soit intérêt, soit curiosité, suivaient’ les débats des tribunaux, on n’avait point pu ne pas remarquer la manière dont Démosthène avait conduit ses propres affaires, la connaissance des lois et le talent de discussion dont il avait fait preuve dans tout le cours de cette pénible lutte judiciaire, dans les plaidoyers qu’il avait prononcés contre Aphobos et contre Onétor. L’effet produit aurait été assez grand pour que, dès l’année qui suivit la fin de ce long procès, les cliens se soient déjà présentés. Schæfer, non sans vraisemblance, attribue aux années 361 ou 366 les discours contre Spudias et contre Calliclès ; il y reconnaît des œuvres de jeunesse du grand orateur, qui n’avait alors que vingt-cinq ans. Isée fut peut-être pour beaucoup dans ce résultat ; peut-être concourut-il, avec un efficace empressement, à lancer le jeune avocat, comme nous dirions aujourd’hui, à lui créer une clientèle. Il était fier d’un élève qui dès ses débuts lui avait fait honneur ; plusieurs années de vie commune et de communs travaux l’avaient mis à même d’apprécier mieux que personne cette noble nature ; il avait dû peu à peu s’attacher à un pareil disciple, pressentir l’essor que prendrait, si les circonstances le favorisaient, un génie de si haute volée. La somme considérable, les 10,000 drachmes que Démosthène lui avait payées, sous une forme ou sous une autre, comme prix de ses leçons, contribuaient à lui assurer la richesse ou tout au moins l’aisance ; il se sentait vieillir, il aspirait au repos. N’est-il pas naturel de supposer qu’à ce moment, à mesure qu’il se détachait des affaires, il envoya à Démosthène d’abord quelques-uns, puis bientôt un plus grand nombre de ceux qui venaient lui demander d’écrire pour eux des plaidoyers ? Il pourrait avoir commencé par se décharger sur son élève des causes les moins importantes et les moins rétribuées, pour finir enfin, sous la contrainte de l’âge, par lui tout abandonner. N’est-ce point ainsi que chez nous, avant de quitter la barre, les avocats célèbres se préparent et se désignent des successeurs ? S’intéressent-ils à un jeune homme, ils l’emploient d’abord à travailler, sous leurs yeux, comme secrétaire ; ils lui donnent des dossiers à examiner, des affaires à instruire ; un peu plus