Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/975

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais les objections de M. Lenormant et de ceux qui partageaient son opinion firent tant d’impression sur les législateurs qu’ils limitèrent autant qu’il leur fut possible les prérogatives des inspecteurs universitaires. Il leur est permis sans doute d’aller dans les établissemens libres, mais ils y vont comme des muets et des aveugles ; ils ne peuvent regarder que ce qu’on veut bien leur faire voir. La discipline, les études, les méthodes, la vie intérieure et morale, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus important dans une école, leur échappent. En réalité, si la loi a créé des surveillans, elle a supprimé la surveillance.

Il est curieux aussi de voir, dans le livre de M. Lenormant, les illusions que se faisaient ses amis sur les résultats de la loi. Il ne les partageait pas toutes, nous dirons pourquoi tout à l’heure, mais autour de lui on regardait la liberté de l’enseignement comme le remède à tous les maux dont la France souffrait depuis soixante ans ; on croyait qu’elle allait relever le niveau des études et changer tout à fait la direction des esprits. Il faut convenir que ces espérances ne se sont guère réalisées. Pour rendre leur force aux études, il était nécessaire de renouveler les méthodes, et l’on s’est contenté dans les établissemens nouveaux d’appliquer les routines anciennes. Voilà pourquoi la loi de 1850 n’a pas produit tous les résultats qu’on attendait : elle a enlevé à l’Université son monopole, et il faut reconnaître que c’était un bien pour l’Université même, qui s’est obstinée trop longtemps à le défendre ; mais elle n’a pas véritablement créé la liberté. Cette large concurrence d’établissemens de toute sorte dont on espérait tant d’heureux fruits ne s’est pas produite ; au contraire, les pensions que l’Université laissait vivre autour d’elle ont à peu près toutes disparu sous le régime nouveau. Aujourd’hui il ne reste plus guère en présence que les établissemens universitaires et ceux du clergé ; le monopole n’a pas été tout à fait détruit, on l’a seulement partagé. C’est une situation très fâcheuse ; il serait utile qu’à côté de ces grandes corporations ayant leurs systèmes et leurs méthodes dont elles n’aiment guère à se détacher, et qui sont par nature conservatrices, il existât quelques institutions moins importantes, dégagées de tout lien avec le passé, plus libres, plus hardies, plus ouvertes aux nouveautés, et qui, dans cet enseignement où les vieilles traditions ont tant de place, représenteraient le progrès.

Il faut rendre cette justice à M. Lenormant, qu’il ne pensait pas, comme beaucoup de ses amis, qu’il suffisait de détruire le monopole universitaire pour régénérer l’enseignement français. Il comprit que le mal était plus profond, et à ce moment il était peut-être le seul à le comprendre. On n’épargnait certes pas les reproches à l’Université : on l’accusait surtout d’être impie et de faire des incrédules ; on composait de gros livres pour démontrer que ses professeurs les plus illustres étaient des panthéistes ou des athées, mais il ne venait pas à l’esprit de ses ennemis les plus acharnés de nier qu’elle ne donnât à ses élèves une instruction très