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perd de 10 à 12 pour 100, uniquement parce qu’elle a le change contre elle, qu’elle est plus débitrice que créancière au dehors, et qu’il lui faut à tout moment envoyer des espèces pour régler ses comptes. Il en est de même en Autriche ; le papier a perdu dans ce pays jusqu’à 35 et 40 pour 100, lorsqu’il n’y en avait en somme que pour 1 milliard 200 millions ou 1 milliard 300 millions ; il ne perd plus aujourd’hui que 15 pour 100 parce que le change s’est amélioré. On peut faire le même raisonnement pour la Russie : il n’y a point chez elle d’équilibre entre le papier-monnaie et le numéraire, parce que l’équilibre est également rompu et depuis longtemps dans les rapports commerciaux avec le dehors. La Russie doit plus qu’elle ne peut recevoir, et, tant que cette situation durera, le change lui sera défavorable et la circulation fiduciaire ne reviendra pas au pair. Les États-Unis sont dans le même cas depuis la guerre de sécession. Personne ne doute de la parfaite solidité du papier-monnaie qui existe dans ce pays : il a la garantie de l’état, et chaque année, grâce aux ressources prodigieuses dont dispose le trésor public, on en diminue la quantité d’une façon assez notable ; on entrevoit même le moment où l’on pourra reprendre les paiemens en espèces ; néanmoins le papier perd encore de 15 à 20 pour 100. Pourquoi ? Parce qu’une partie de la dette qu’a contractée l’Union américaine pendant la guerre ayant été placée à l’étranger, en Allemagne, en Hollande principalement, la balance du commerce s’en trouve influencée défavorablement. Le papier-monnaie est au pair chez nous malgré une émission excessive, parce que le change ne nous est plus contraire, et que nous avons trouvé le moyen de payer les Prussiens sans faire sortir beaucoup de numéraire ; mais on se tromperait fort, si on croyait qu’on peut augmenter la circulation fiduciaire en ayant le change défavorable, nous tomberions dans les mêmes embarras que l’Italie, l’Autriche et la Russie.

Il y a dans le paiement de l’indemnité prussienne un autre spectacle assez curieux à considérer : c’est l’effet qu’il a produit sur l’Allemagne elle-même. Il semblerait que, si nous, débiteurs, nous avons pu nous acquitter si facilement, le créancier qui a reçu notre argent a dû en profiter beaucoup et immédiatement. — Eh bien ! c’est presque le contraire qui a eu lieu. Nous avons versé nos 5 milliards à l’Allemagne, et elle a été livrée au même moment à une crise financière des plus effroyables. Jamais l’argent n’a été plus rare et plus recherché, et jamais on n’avait vu dans ce pays autant de faillites. Cela rappelle l’histoire de l’Espagne après la découverte de l’Amérique. Chaque année, des galions chargés d’or et d’argent arrivaient dans la péninsule : il semblait qu’on n’avait plus besoin de travailler pour s’enrichir ; les industries s’arrête-