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rent, et un beau jour, lorsque les galions cessèrent de venir, l’Espagne se trouva plus pauvre qu’auparavant. En Allemagne, ce ne sont pas précisément les industries qui s’arrêtent par suite du paiement de nos milliards; on leur a donné au contraire trop de développement. On s’est figuré qu’on pouvait tout entreprendre avec une pareille indemnité, qu’il n’y avait plus de limite aux spéculations, et alors on en a organisé de toute sorte, de bonnes et de mauvaises, — beaucoup plus de ces dernières, qui ont absorbé des capitaux immenses, — et lorsque la première fièvre a été passée, qu’on a voulu éprouver ces spéculations au véritable critérium de la valeur, c’est-à-dire les convertir en espèces, on s’est aperçu que la plupart ne reposaient sur rien de sérieux. Un homme très compétent en matière financière au-delà du Rhin, M. Bamberger, a publié dernièrement dans un recueil allemand un article sur les conséquences de notre indemnité; il regrettait pour son pays qu’elle eût été payée aussi vite et en numéraire. Il devait en résulter, selon lui, une exagération dans les travaux publics et une hausse non justifiée dans les salaires. Il prévoyait le moment où, ces travaux ayant cessé parce que l’indemnité serait absorbée, il y aurait une crise effroyable et une misère très grande. Ce tableau est peut-être un peu chargé, mais le fond en est vrai : rien ne doit venir trop vite, la richesse pas plus qu’autre chose, et le progrès le mieux assuré est celui qui s’accomplit avec le temps. L’Allemagne, recevant tout à coup 5 milliards d’espèces métalliques, s’est trouvée dans la situation d’un homme peu aisé auquel il tombe un héritage considérable; il faudra que cet homme soit bien prudent et bien maître de lui pour ne pas, dans les premiers momens d’enivrement, commettre des folies qui lui feront perdre une partie de ses capitaux. L’Allemagne a commis ces folies, et c’était naturel. Il faut ajouter aussi, pour expliquer la crise qu’elle a subie, que l’argent payé aux Prussiens l’a été non pas à la nation, mais au gouvernement. Celui-ci le garde plus ou moins longtemps dans ses caisses avant d’en faire la répartition à ses confédérés, et, comme d’ailleurs il en réserve une partie notable pour ses propres besoins, pour l’augmentation du fonds de l’armée, pour l’amélioration du matériel de guerre et pour le changement du système monétaire, l’effet immédiat de nos paiemens n’a pas été de répandre plus de numéraire dans le pays; il s’est même produit ce fait assez singulier, que, beaucoup de traites fournies sur l’Allemagne ayant été acceptées par des banquiers allemands en échange de contre-valeurs françaises, ceux-ci se trouvent obligés de faire les fonds à l’échéance, et contribuent encore à épuiser au profit de l’état la réserve métallique de la nation. De là des embarras qu’il est facile de comprendre et qui ont été d’autant plus grands qu’on avait es-