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pour écouter les vives protestations d’Herrera, qui criait à l’arbitraire. A la grande stupéfaction de ce dernier, le jury international, assimilant à l’ancienne traite des noirs l’émigration des coulies telle qu’elle se pratique à Macao, ordonna sur-le-champ la mise en liberté de tous les Asiatiques qui se trouvaient à bord de la Maria-Luz, et subsidiairement leur rapatriement en Chine.

Tout en protestant, Herrera dut s’exécuter et faire mettre à terre sa vivante cargaison. Ce jour-là seulement, ce capitaine apprit par un de ses amis qu’en 1868 pareille mésaventure était arrivée au subrécargue d’un navire espagnol qui à la suite d’un gros temps s’était réfugié dans un port anglais. Nous devons ajouter que la cour de Pékin, dès qu’elle eut connaissance du jugement rendu à Yokohama, envoya au Japon Chen, un de ses grands dignitaires, avec ordre de ramener les émigrans à Nankin. L’empereur céleste, pour bien faire savoir à Macao qu’il était ennemi de l’exportation de ses sujets, se hâta d’élever Chen, après sa mission accomplie, à un grade supérieur à celui dont il jouissait déjà. Le capitaine Arthur du navire de guerre anglais le Iron-Duke, ainsi que le docteur Mac-Cartée, qui tous deux avaient coopéré d’une façon active au rapatriement de la cargaison de la Maria-Luz, reçurent aussi de sa majesté chinoise, et certainement dans la même intention, une médaille d’or avec la décoration du Kungpai de première classe.

A la nouvelle de ce qui s’était passé à Yokohama, le gouvernement péruvien se montra fort irrité. Son premier mouvement fut d’envoyer au Japon et dans les ports de Chine un plénipotentiaire escorté d’un bâtiment cuirassé, avec mission d’obtenir par tous les moyens possibles réparation du dommage causé à ses nationaux. Peu à peu cependant le Pérou se calma, et si un chargé d’affaires de cette république s’est présenté dernièrement dans ces lointains parages, il y est arrivé sans escorte guerrière. Les Anglais, qui avaient craint un moment l’arrivée à Yeddo d’une force péruvienne quelconque, qui avaient excité les coulies à la rébellion, poussé les autorités japonaises à déclarer négoce criminel l’émigration macaïste, s’étaient empressés, inquiets des suites de leur trop active intervention dans toute cette aventure, de soumettre la question de la Maria-Luz aux jurisconsultes de la Grande-Bretagne. Ces derniers viennent de rendre leur verdict en déclarant que le tribunal international présidé par le gouverneur de Yokohama avait agi conformément aux lois qui suppriment la traite et l’esclavage.

Nous nous proposons d’exposer ici ce que nous avons vu et appris personnellement à Macao de l’enrôlement des Asiatiques pour l’Amérique et les Antilles espagnoles; nos lecteurs pourront ainsi à leur tour juger la question. Inutile de dire que nous ne confondons pas cet odieux trafic avec l’émigration des coulies telle qu’elle a lieu