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sur la côte du Malabar, au grand avantage des Hindous et des planteurs français de l’île Bourbon. Ce qui se passe à Macao n’a rien de commun non plus avec l’émigration libre de Shang-haï, qui a pour résultat de faire affluer les Asiatiques en nombre considérable sur divers points de la Malaisie, de la Polynésie et de l’Amérique du Nord, en attendant qu’ils se ruent comme des sauterelles affamées sur la vieille Europe. Nous avons connu des Chinois millionnaires à Singapour, dans les Indes néerlandaises et aux îles Philippines; d’autres encore possèdent à San-Francisco de grandes fortunes, et nous pouvons certifier qu’ils avaient quitté leur pays natal aussi pauvres que les coulies au moment de leur embarquement; mais pas un de ces heureux parvenus n’était parti sous d’aussi tristes auspices.


I.

Lorsqu’il y a vingt ans les émules des Wilberforce, des Clarkson et des Burton apprirent que la traite des noirs, à peu près partout victorieusement combattue, venait de reparaître dans l’extrême Orient sous l’honnête désignation « d’émigration de coulies, » la presse de la Grande-Bretagne fit entendre sous leur impulsion de généreuses protestations : aujourd’hui encore elles sont plus ardentes que jamais dans les journaux anglais publiés en Chine et au Japon. Ce qui révolte davantage les âmes tendres qui ont voué leur vie à l’abolition de l’esclavage, c’est que l’odieux trafic ne s’attaque plus comme autrefois à une race dite esclave par nature à des êtres humains dont un pape, Léon X, approuvait l’asservissement, mais qu’il s’est rabattu sur la race jaune, très supérieure intellectuellement aux hommes à peau noire. Comme pour braver plus effrontément ceux que cette nouvelle exploitation de l’homme par l’homme indignait, le racolage et l’embarquement des Chinois n’avaient pas lieu, ainsi que cela se pratiquait pour la traite des Africains, nuitamment, sur un point de côte désert et sablonneux, comme il s’en trouve sur la côte de Guinée, loin de l’atteinte redoutable des navires de guerre chargés de poursuivre les négriers et de prendre leurs équipages, s’ils résistaient. La traite des Chinois s’exerçait au grand soleil, dans une colonie portugaise, à la vue et au su de vice-consuls européens, dans une possession appartenant à une nation qui, sous le règne d’un de ses plus grands rois, José Ier, avait aboli l’esclavage dans ses possessions d’outre-mer et notamment au Brésil; mais le Portugal est loin, hélas ! de ces époques héroïques, et le Japon, nation née d’hier, en repoussant de ses eaux la Maria-Luz, vient, avec l’appui d’un tribunal international, de le dépasser grandement dans une haute question d’humanité.

Comment Macao est-il devenu le centre d’une émigration si