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leurs villages par des pirates mahométans, et placés pour la vie sous le joug de la plus despotique servitude. Une jeune femme espagnole, belle à ravir, enlevée il y a quelques années par ces misérables couverts de lèpre, mourut dans leurs mains de désespoir. On trouve aussi des esclaves aux îles du Cap-Vert, au Mozambique et au Brésil ; la mort seule brisera les liens qui les lient à leurs maîtres. Il y a des esclaves à Bornéo, dans un grand nombre d’îles océaniennes, dans le royaume de Siam et dans cette partie de l’Annam qui n’est pas encore française. Pour en finir, rappelons qu’un des griefs des Hollandais contre les Atchinois est fondé sur ce fait que ces derniers trafiquent des femmes malaises jusque dans les Indes néerlandaises. Cette plaie de l’esclavage est, on le voit, bien loin d’être fermée, et si ce qui a lieu à Macao n’est pas la traite telle qu’elle fut combattue par la France et l’Angleterre, c’est assurément un trafic sans moralité et une condamnable exploitation.

Il reste donc établi que, chassés de Hong-kong par les Anglais, mal vus par les Chinois, repoussés par les Japonais, les marchands de coulies ont pu trouver dans une colonie européenne d’Asie non-seulement de vastes prisons pour y tenir enfermés des émigrans, mais encore un permis d’exploitation. Que dans ces sinistres contrats on laisse intervenir des agens portugais revêtus d’un caractère officiel, c’est là un fait vraiment regrettable ; quelle triste opinion doivent avoir les Asiatiques de notre civilisation ! La cour de Lisbonne peut répondre à ces reproches, comme elle a répondu aux observations que le premier ministre d’Angleterre lui avait adressées à ce sujet, que ses agens ont mission de sauvegarder la liberté du coulie et d’empêcher qu’il ne soit embarqué contre son gré. À notre avis, il eût été préférable de ne pas autoriser l’installation de pareils établissemens à Macao ; on n’aurait pas dû permettre qu’un marchand d’hommes eût le droit d’y tenir enfermés dans d’infects baracouns des centaines de malheureux circonvenus par d’infâmes artifices. En effet, qu’on n’oublie pas comment les Asiatiques sont enrôlés, à quelles conditions dérisoires ils donnent si facilement leur liberté pour travailler pendant six ans sous le soleil des îles Galapagos, — les îles Chinchas sont épuisées, — et à La Havane, au pays du vomito. Qu’on se souvienne de l’accueil que reçoivent les coulies de leurs mandarins lorsque, refusant de s’embarquer, ces infortunés reviennent dans leurs districts à peu près nus et à coup sûr affamés, — qu’on songe enfin à la facilité avec laquelle les planteurs de La Havane fournissent aux Asiatiques tout ce qui doit les endetter et par conséquent prolonger la durée de leur servitude. Lorsqu’un homme imprévoyant ou poussé aux dernières extrémités par la misère et la faim a mis au pied d’un contrat une signature qui permet une exploitation outrée de ses forces sans