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Archange à la vénération des croyans. L’abbesse du couvent des Demoiselles, qui était de Smolensk, et qui avait pour cette image une dévotion particulière, s’empressa avec ses religieuses d’aller saluer la Protectrice. « A Saint-Michel-Archange, il y avait foule à ne pas s’y voir; sur la place même, à peine si on pouvait se faire jour. Il y avait surtout beaucoup de femmes, et toutes pleuraient. Quand nous commençons à nous pousser vers l’image, l’une après l’autre, à la file, on se met à regarder toutes ces religieuses dont on ne voit pas la fin. Une dame s’écria même : « Ces soutanes devraient bien nous faire place; ce ne sont pas leurs maris, ce sont les nôtres qui vont exposer leurs têtes aux coups de fusil. »

Rostopchine n’oublia rien de son côté pour rassurer et tenir en paix la population. Ses originales proclamations s’étalèrent bientôt sur tous les murs et se trouvèrent dans toutes les mains. Il recommandait au peuple de « se défier des imbéciles et des ivrognes; ils ont les oreilles larges et soufflent des sottises à l’oreille des autres. » Si quelqu’un s’avisait de faire l’éloge de Napoléon ou des Français, il ordonnait « de le saisir par le toupet et de l’amener à la police,... fùt-il des plus huppés. » Après Borodino, il invita le peuple à s’armer de piques, de haches et de fourches à trois dents, « vu que le Français n’est pas plus lourd à soulever qu’une gerbe de blé; » il promettait de se mettre à la tête de ses administrés pour livrer une bataille suprême aux Trois-Montagnes; mais en même temps il opérait le sauvetage des trésors d’église, des archives, des caisses publiques, des collections d’objets précieux que renfermait le Palais des Armes. Comme le temps lui manquait pour vider l’arsenal, il résolut d’employer à ce travail les bras innombrables de la multitude. A cela, il voyait un double avantage : mettre les armes hors de la portée de l’ennemi et dans les mains du peuple. Toutefois, avant de livrer ce vaste dépôt au pillage, il voulut sonder l’opinion. Il organisa donc une manifestation patriotique et religieuse dont un témoin oculaire a consigné la vive impression. Laissons la parole à l’archiprêtre Vassili Mikhaïlovitch, qui était à cette époque un jeune gars de seize ans. Tout Moscou avait été convoqué au pied de la tour d’Ivan pour entendre une allocution du vieux métropolite Platon. Une tribune élevée à la hâte était déjà décorée des icônes miraculeuses les plus en renom, « On attendait avec une impatience croissante l’apparition du métropolite. Enfin ses chevaux noirs se montrèrent sous la porte de Saint-Nicolas. Tout le monde se découvrit. Platon se montra aux fenêtres de sa voiture et bénit le peuple de sa main tremblante. Derrière lui venait en calèche le comte Rostopchine. La foule courait derrière les équipages. Quand ils s’arrêtèrent sur la place du Miracle, le métropolite sortit de sa voiture, aidé de deux diacres qui le conduisirent, en le soutenant, à la tribune. Le