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si à Tours on avait exécuté les instructions du général Trochu. On pouvait certainement attendre de cette expédition un singulier effet moral. L’armée d’investissement se serait peut-être décidée à lâcher prise devant Paris, et si elle gardait ses lignes, laissant au prince Frédéric-Charles le soin de rallier les corps de Manteuffel en marche sur le nord pour revenir sur notre armée de sortie, on pouvait essayer d’empêcher la jonction des forces allemandes ; au pis-aller, on pouvait les attendre dans des positions qu’il était facile de rendre inexpugnables. On était en pleine Normandie avec un vigoureux noyau de 50,000 hommes excités par un premier succès, enflammant de leur esprit les jeunes soldats encadrés dans cette armée sortie de Paris. C’était un horizon nouveau qui s’ouvrait, peut-être une phase nouvelle de la guerre qui commençait au milieu d’une confiance nationale ranimée et redoublée par cette péripétie inattendue.

Je ne veux pas dire que tout cela aurait réussi, qu’on n’aurait eu à essuyer ni revers ni déceptions. On pouvait échouer, même au premier pas, c’est possible, — on n’aurait pas échoué dans tous les cas plus qu’on ne l’a fait. Ce que je veux dire, c’est que c’était là réellement un projet hardi et praticable, réunissant les meilleures conditions, minutieusement travaillé, à la veille d’être exécuté lorsque le 14 novembre au soir, après quinze jours passés sans aucune nouvelle de la province, Paris apprenait tout à coup que l’armée de la Loire, dont on commençait à douter, venait de révéler son existence par un succès, par un combat des plus heureux, livré le 9 à Coulmiers, non loin d’Orléans. Trois jours après, on annonçait de Tours que non-seulement on avait battu les Bavarois à Coulmiers, fait plus de 2,000 prisonniers, enlevé quelques canons, mais que cette brillante affaire avait eu encore pour conséquence la rentrée de l’armée française à Orléans, où elle était désormais, prête à poursuivre sa victoire.

C’étaient là certainement des nouvelles aussi réconfortantes qu’inattendues, et qui avaient pour effet de relever les esprits du désarroi où ils n’avaient pas tardé à retomber après le 31 octobre. On se reprenait subitement à l’espérance. Il semblait qu’il n’y eût plus pour l’armée de la Loire qu’à s’avancer sur Paris, et pour l’armée de Paris qu’à se jeter sur les lignes prussiennes. Déjà on disait tout bas que de part et d’autre on avait pris rendez-vous dans la forêt de Fontainebleau. Malheureusement ce succès si bien fait pour réchauffer les cœurs, si honorable par lui-même et si facilement grossi par l’imagination, ce succès de Coulmiers, qui ressemblait à un appel, avait l’inconvénient de bouleverser tout un plan préparé d’un autre côté, dont l’exécution ne tenait plus qu’à un dernier ordre.