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Lorsque M. Gambetta avait quitté Paris au 8 octobre, le général Trochu ne lui avait rien dit de ses projets, d’abord parce qu’il tenait à ne pas les révéler, puis par cette raison toute simple, que dans sa pensée M. Gambetta ne partait nullement pour être un dictateur ni même un ministre de la guerre. Trois ou quatre jours après, il apprenait quel personnage M. Gambetta était devenu en arrivant à Tours ; alors le gouverneur de Paris sentait la nécessité de mettre le jeune ministre au courant de ce qu’il se proposait de faire. Le général Trochu, j’en conviens, aurait du envoyer un officier d’état-major intelligent avec des instructions précises. Il crut pouvoir employer un autre moyen. Apprenant que M. Ranc, devenu maire d’un des arrondissemens de Paris depuis le 4 septembre, allait partir pour Tours, il le faisait venir auprès de lui, et il le chargeait d’une mission verbale, toute confidentielle, auprès de M. Gambetta et de l’amiral Fourichon. Par prudence, — et c’est ici surtout qu’un officier sûr, accoutumé aux choses militaires, eût été précieux, — par prudence, dis-je, ne connaissant pas l’état des affaires de la guerre en province, le général Trochu n’envoyait pas des ordres, il donnait des indications. Il chargeait M. Ranc de dire à Tours qu’il préparait une opération sur la basse Seine avec 50,000 hommes de ses meilleures troupes, que ses relations avec le gouvernement extérieur étaient si difficiles qu’on ne pouvait rien combiner à point nommé. « Au moins, ajoutait-il, faudrait-il arriver à ce que nos opérations ne fussent pas tout à fait contradictoires, et j’ai le devoir de dire au gouvernement de Tours, sous le sceau d’un secret dont la révélation serait très dangereuse, comment les opérations de Paris sont réglées… » Le général Trochu, sans vouloir détourner les armées extérieures des entreprises où elles pouvaient être engagées, déclarait qu’il était « indispensable » que ces armées eussent au moins un gros détachement opérant dans la basse Seine et prêt à donner la main aux troupes de sortie. Ceci se passait dès le 14 octobre.

Comment la mission avait-elle été remplie ? De deux choses l’une, ou M. Ranc n’avait pas même saisi la portée des instructions dont il avait été chargé, ou M. Gambetta n’avait nullement compris la gravité de la communication qu’il avait reçue. M. Gambetta, « autant qu’il s’en souvient, » n’avait vu là qu’une simple « conversation, » car, dit-il, on ne pouvait « prendre cela pour un plan. » — « Il était question en effet dans cette conversation d’opérer une sortie par les petits plateaux : cela s’appelle comme cela. » Si M. Gambetta, à défaut d’une aptitude militaire qui ne s’improvise pas, avait réfléchi, il aurait su que les instructions envoyées par un général en chef enfermé dans une place ne peuvent être une simple « conversation, » que, sans avoir le caractère d’un ordre précis dans