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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/258

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l’exécution, elles peuvent équivaloir à un ordre quant à leur objectif. Il aurait compris que, lorsque le général Trochu lui faisait savoir qu’il sortirait par la basse Seine, cela voulait dire qu’il fallait porter nécessairement de ce côté le plus de forces possible. M. Gambetta ne tenait aucun compte de ce qu’il recevait de Paris ; il laissait la Normandie aux quelques milliers d’hommes qui ne pouvaient guère la protéger longtemps, et on concentrait tout ce qu’on avait de forces sur la Loire. On engageait cette campagne sur Orléans, qui débutait par un succès brillant, il est vrai, mais qui allait pour ainsi dire en contre-sens des combinaisons parisiennes. Non-seulement M. Gambetta ne tenait aucun compte des indications du général Trochu, il en venait très promptement, surtout dès le lendemain de Coulmiers, à lui reprocher son inaction. Il commençait contre la défense parisienne et ses prétendues lenteurs cette guerre peu généreuse, étourdie, presque acrimonieuse, qui n’était pas sans trouver de l’écho à Paris, même à l’Hôtel de Ville, — et le général Trochu, à qui on créait des embarras, qui aurait pu après tout, comme président du gouvernement, donner des ordres, le général Trochu ne dédaignait pas de se défendre. « Ce que vous appelez ma persistante inaction, écrivait-il le 24 novembre à M. Gambetta, est l’effet invincible des efforts immenses et compliqués que j’ai à faire. Il a fallu organiser 100,000 hommes, les pourvoir d’artillerie, les enlever aux 15 lieues de positions qu’ils occupent, les y remplacer par des troupes non organisées… » Tout cela ne comptait pour rien et n’était même pas soupçonné à Tours, où l’on se faisait des idées si étranges qu’on demandait gravement au général Trochu de « faire sortir 200,000 hommes, » qu’on prétendait n’être plus nécessaires à la défense !

Si encore M. Gambetta, qui se montrait tout à la fois si peu secourable et si sévère pour le gouverneur de Paris, avait eu le soin de le tenir informé avec quelque exactitude de ce qui se passait au dehors ! mais non. Quoiqu’il ne fût pas enfermé, quant à lui, entre des murailles, quoiqu’il eût mille moyens d’information dans les provinces françaises envahies, quoiqu’il eût créé des bureaux de renseignemens militaires, il ne savait rien, ou pour mieux dire il n’avait que les notions les plus fausses sur ce qui se passait devant lui, et voici ce qu’il transmettait le 26 novembre à Paris, sans négliger de commencer par sa propre apologie : « Sur la situation militaire, je vais tout vous redire. Quand je suis arrivé en province, rien n’existait ni en fusils, ni en cartouches, ni en hommes, ni en officiers, ni en matériel d’artillerie, ni en cavalerie… En quarante-sept jours, voici ce que j’ai fait : une armée de 150,000 hommes [1]

  1. Dépêche datée de Tours 26 novembre.