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Ducrot avait demandé qu’on lui laissât au moins quarante-huit heures pour procéder à cette œuvre de réorganisation et pour être prêt le 6 décembre à revenir au combat vers Saint-Denis. C’était à la vérité demander beaucoup à des hommes exténués et même à des généraux qui ne cachaient pas leurs doutes sur la possibilité d’une telle entreprise.

C’est dans cet intervalle, le 5 décembre, que survenait tout à coup un incident de nature à éclairer singulièrement la situation en marquant pour ainsi dire une heure décisive et fatale du siège au lendemain de ce qu’on croyait être une victoire. Le soir du 5, le gouverneur de Paris recevait par un parlementaire du chef de l’état-major de l’armée allemande, de M. de Moltke lui-même, une lettre des plus inattendues qui lui disait : « Il pourrait être utile d’informer votre excellence que l’armée de la Loire a été défaite près d’Orléans, et que cette ville a été réoccupée par les troupes allemandes. Si toutefois votre excellence juge à propos de s’en convaincre par un de ses officiers, je ne manquerai pas de le munir d’un sauf-conduit pour aller et venir… » Tout semblait étrange dans cette démarche. La lettre était adressée non au président du gouvernement, mais au général Trochu, au commandant de l’armée française. Elle était conçue d’une façon assez énigmatique pour donner à réfléchir, pour avoir l’air de laisser comprendre ce qu’on ne voulait pas dire. Que M. de Moltke descendît à user d’un vulgaire artifice pour tromper son adversaire, on ne pouvait pas même le supposer de la part d’un tel personnage, et précisément parce que c’était le chef militaire s’adressant au chef militaire, on devait encore moins le penser ; mais alors que voulait-il dire ? Que signifiait cette lettre ? Quelques-uns des membres du gouvernement, M. Jules Favre, M. Ernest Picard, y voyaient une sorte d’appel indirect à une négociation. Le général Ducrot lui-même n’hésitait pas, et avec la vivacité de son esprit il disait : « C’est un incident providentiel ; ces gens-là en ont assez, ils veulent traiter ! .. Pourquoi ne pas admettre qu’ils sont sous l’impression des pertes que nous venons de leur faire subir ? » Cette interprétation était corroborée par des insinuations recueillies aux avant-postes. À ce moment même, pendant un armistice convenu pour l’enterrement des morts, le docteur Sarrazin, médecin en chef à la deuxième armée, et M. de La Grangerie, chef des ambulances de la presse, avaient l’occasion de causer avec des officiers allemands qui se montraient fatigués de la guerre, très désireux de la paix, et qui leur disaient avec une certaine insistance : « Pourquoi le général Trochu, que nous estimons tous, ne s’adresse-t-il pas au roi ? il obtiendrait sûrement des conditions fort honorables… » La lettre de M. de Moltke