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un pays ravagé à 30 lieues de distance, on avait sur les flancs dès les premiers pas trois corps prussiens, au moins deux, qui nous auraient suivis et nous auraient retrouvés à la seconde marche en rase campagne. A Paris, où l’on n’était pas tenu de comprendre les nécessités, les complications et les périls d’une situation militaire, on ne voyait que ce fait décourageant d’une retraite qu’on rejetait, cela va sans dire, sur les chefs de la défense, et que ces chefs ne pouvaient naturellement expliquer à une population exaltée la veille par l’espérance, irritée maintenant et décontenancée par une déception nouvelle.


IV

Ainsi le dernier mot de ces sanglantes batailles de Villiers et de Champigny, grand et viril effort du siège de Paris, était le retour de nos soldats en arrière de la Marne. Est-ce à dire qu’on voulût se rejeter de lassitude dans l’inaction, et que le général Ducrot n’eût d’autre pensée que de rentrer tranquillement dans ses lignes ? D’abord on n’avait aucune nouvelle décisive de l’armée de la Loire ; on ne savait pas qu’au moment où il y avait un parti à prendre à Paris, cette malheureuse armée était déjà elle-même sur la pente du désastre, qu’on aurait eu beau aller à Fontainebleau, on ne l’aurait pas trouvée ; on la croyait, on devait la croire aux prises avec l’ennemi, et on ne songeait nullement à se retirer d’une lutte où le succès pouvait dépendre d’un concours mutuel. Seulement le général Ducrot restait convaincu qu’il n’y avait plus rien à faire sur Villiers ; il avait vu que dans les deux batailles du 30 novembre et du 2 décembre l’artillerie, vaillamment et habilement conduite par le général Frébault, avait eu une action des plus énergiques et des plus efficaces, que l’infanterie, trop peu solide pour aborder des obstacles sérieux, avait cependant montré le plus brillant élan, et alors il songeait à choisir un autre champ de bataille où l’artillerie aurait toujours son rôle, mais où l’infanterie pourrait déployer plus librement ses qualités traditionnelles. Le général Trochu avait la même pensée.


Ce champ de bataille, on croyait l’avoir trouvé dans la plaine de Saint-Denis, où l’on espérait attirer l’infanterie allemande et l’aborder enfin corps à corps. Le général Ducrot avait si peu l’idée de suspendre indéfiniment la lutte, que dès le 3 au soir, en rentrant à Vincennes, il rassemblait ses chefs de corps pour se concerter avec eux sur les moyens de réorganiser l’armée, car il y avait avant tout à refaire des cadres, à remplacer les officiers morts, à fondre ensemble des divisions, des brigades, des bataillons. Le général