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défense, mais elles n’empêchèrent finalement ni le retour des incursions ennemies, ni les rapports d’autre sorte avec les barbares. Entre populations voisines, quoique différentes par le degré de civilisation et la race, il ne se peut en aucun temps qu’il y ait uniquement et à toutes les heures des rapports hostiles. Peu à peu des rapprochemens s’opèrent, un certain équilibre, au moins dans la région intermédiaire, s’établit; des relations commencent, premiers liens facilement rompus par la guerre, renoués plus facilement encore après le départ des combattans. Des Germains étaient venus s’établir sur la rive gauche du Rhin, des Gallo-Romains avaient occupé plusieurs points de la rive droite. Les inévitables rapports de chaque jour appelèrent le commerce et les échanges. Ce qui nous a été conservé d’inscriptions parmi les ruines des villes romaines construites dans la région du Rhin témoigne de quelle activité commune ces riches contrées devinrent l’occasion et le foyer. Il sembla que l’énergie et la vie, qui allaient abandonner les provinces intérieures, se réfugiassent en se multipliant aux extrémités de la Gaule. Les Romains venaient demander aux barbares le chanvre et les sapins du Taunus, que des compagnies d’armateurs ou nautœ dirigeaient par flottage vers les arsenaux maritimes établis dans l’île des Bataves. Ils achetaient le bétail, les pelleteries, quelquefois le blé, et surtout un certain nombre de denrées très recherchées par la sensualité de l’époque impériale, les poissons du lac de Constance, les plumes et le foie d’une certaine espèce de canard dont on faisait de voluptueux oreillers et d’excellens pâtés, mais surtout les flaves chevelures, ou bien les pommades fabriquées par les Mattiaques pour teindre les cheveux et leur donner la riche couleur germanique fort recherchée des matrones romaines, La grande quantité d’eaux thermales avait particulièrement exercé une vive séduction, et les nombreux vestiges du luxe antique respirent encore au milieu de ces ruines. Les Germains de leur côté venaient acheter les produits de l’industrie occidentale, les étoffes, les ustensiles, les armes. Le Mercure des marchés, Mercurius nundinator, présidait à ces mutuels échanges; autour de lui se rangeait (nous en jugeons par les inscriptions) la foule des divinités étrangères, asiatiques, égyptiennes, celtiques, romaines ou grecques, tant ces frontières de l’empire étaient devenues le centre d’une vie active, le rendez-vous de toutes les nationalités.

Le commerce est une force; entre les mains d’un peuple énergique, il peut préparer et accomplir à moitié la conquête. Rome le pratiquait encore avec un apparent succès au temps des Antonins, alors que l’extrême Orient, le pays des Sères et l’Inde envoyaient leurs marchandises vers le port de Pouzzoles, où se rencontraient les