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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/296

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avait pas empêchés d’appeler de nouvelles tribus auxquelles le passage avait été refusé. Il fallut que l’empereur Valens marchât avec son armée contre ses alliés d’un jour, si promptement rebelles. Il les rencontra près d’Andrinople et subit une entière défaite, qu’Ammien Marcellin place au-dessus du désastre de Cannes. Valens blessé s’était réfugié dans une cabane : ils l’entourèrent de paille et de bois, et la brûlèrent avec tous ceux qu’elle contenait. Ce que devinrent les provinces romaines ainsi occupées, Jornandès nous le dit assez clairement : « les Goths ne furent plus là des étrangers ni des fugitifs, mais en citoyens et en maîtres ils commandèrent aux possesseurs des terres. Ils tinrent sous leur autorité, suo jure, toutes les provinces septentrionales jusqu’au Danube... Ils s’établirent comme ils l’eussent fait sur leur sol natal. » De pareils témoignages sont formels : il est évident qu’il s’agit d’une prise de possession, d’une conquête véritable au lendemain d’un semblant de traité. Nous retrouverons, il est vrai, les Visigoths dans les cantonnemens assignés par l’empire; ils se conduiront quelquefois en dociles auxiliaires; leur chef Alaric tiendra beaucoup à devenir maître des milices; tout cela prouvera seulement que l’empire en détresse se prêtait de lui-même à l’invasion, et que certains chefs barbares savaient fort bien trouver dans ces dispositions un moyen de succès.

On verrait se représenter presque pour chaque province de l’Occident le même aspect que nous a offert l’entrée des Goths dans la Mésie, car l’invasion et la conquête ont procédé, peu s’en faut, partout de la même manière, suivant les traits généraux que nous venons de signaler. Une longue période d’infiltration a précédé; non-seulement sur toute la ligne des frontières intérieures, mais au centre des provinces romaines, elle a multiplié des groupes de barbares, d’abord isolés et dociles, très portés plus tard à l’indépendance, à l’usurpation, à la révolte. Une seconde période a couvert ses violences du prétexta perpétuel de conventions avec Rome, conventions que les historiens contemporains nous attestent, il est vrai, qui ont pu quelquefois profiter à l’empire, mais qui n’avaient plus de réelle importance depuis qu’il était hors d’état de les faire respecter. Enfin la dépossession des vaincus, tantôt restreinte et légale, tantôt brutale et étendue, est venue confirmer et sceller !e fait de la conquête. Voyons ces traits se vérifier dans la Gaule romaine parmi tout un ensemble de circonstances particulières qui ne sauraient les effacer.

Aussi bien que les autres provinces, la Gaule avait reçu de bonne heure des Germains vaincus ou volontairement soumis. On les y acceptait comme ailleurs à titre d’auxiliaires, de lètes ou de colons. A la suite des Teutons et des Cimbres, une tribu de même ori-