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Troyes en Champagne, Hastings, qui, pour piller et gaigner, se joignit plus tard contre ses compatriotes au flot des envahissemens morthmans, Burgundes et Visigoths avaient avec eux leurs enfans et leurs femmes. Les Francs avaient fait presque place nette dans tout le nord-est, qu’ils couvraient de leurs tribus. Quant aux armées de Clovis, chacune d’elles pouvait bien n’être pas très nombreuse, mais c’étaient en une certaine mesure des troupes choisies et qu’il renouvelait en revenant après chaque expédition se refaire dans sa tribu. Les écrivains du premier moyen âge expliquaient le nom de Germanie par le latin germinare, de même que Jornandès disait de son île Scanzia qu’elle avait été la matrice et l’officine des nations : où avaient-ils pris une si formidable idée du nombre d’hommes que la Germanie ou le nord avait versés sur l’Occident? Pourquoi ne pas rappeler enfin le chiffre qu’en 1806 les calculs de la statistique ont signalé? L’Allemagne de nos jours acquiert chaque année un accroissement de population de 500,000 âmes ; de quel droit refusera-t-on toute part de cette énergie aux Germains d’autrefois, desquels les historiens nous disent qu’ils respectaient le mariage et n’exposaient pas leurs enfans, comme on faisait à Rome autour de l’infâme Vélabre?

On ne saurait soutenir non plus que ces barbares fussent de simples bandes pour qui les communications avec la patrie étaient rompues, et qui devaient avoir oublié leurs institutions politiques, s’ils en avaient jamais connu. Il ne faut pas comparer de tels essaims avec ces exilés que les cités de la Grèce antique, lorsqu’elles arrivaient à l’excès de population entre leurs étroites murailles, envoyaient chercher fortune et s’empressaient d’oublier, à moins qu’ils ne devinssent à leur tour puissans et prospères. Chacune des tribus dont les envahisseurs faisaient partie, loin de ressembler à une cité close, vivait au-delà du Rhin éparse en quelque plaine. Pen familiarisée avec la propriété foncière, toujours en mouvement, avait-elle son vrai centre de vie et d’action là où demeuraient ses troupeaux et ses vieillards ou bien là où s’avançaient ses guerriers? Les cadres de l’armée n’étaient-ils pas ceux-là mêmes de la famille et de l’assemblée nationale? La bande ne restait pas longtemps séparée de la tribu ; on les distinguait à peine, à vrai dire. Nul des peuples établis en Gaule ne renonçait aux communications avec les peuples ou les tribus barbares restés plus à l’orient : les Visigoths correspondaient avec les Ostrogoths d’Italie, et ceux-ci très probablement avec les Goths établis en 375 dans toute la vallée méridionale du Danube. Les Burgundes n’étaient pas loin de leur patrie, située sur les bords du Mein; on les voit se grossir, après le premier établissement, de recrues nou-