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velles. Les Francs enfin restaient en contact perpétuel avec le gros de leurs tribus, établies sur les bords du bas Rhin et de la basse Meuse. Loin donc de croire que ces Germains fussent tentés d’oublier et leurs précédente patrie et leur coutumes nationales, on pourrait penser tout au contraire qu’en aucune occasion peut-être, en aucun moment plus qu’en ces expéditions guerrières la tribu germanique ne sentait la vie politique circuler en elle. — Douter d’ailleurs que l’ancienne Germanie ait eu quelque, chose de semblable à des institutions, professer que cette barbarie avait été jusqu’alors entièrement stérile et inerte, c’est méconnaître les intelligences et précieuses informations de César, de Tacite, d’Ammien Marcellin. Tous ces témoignages diffèrent, mais selon la différence des époques, et pour nous montrer clairement le progrès qui s’accomplit.

N’avons-nous pas au surplus les lois barbares qui répondent à ces doutes? Dira-t-on, parce qu’elles ont été écrites en latin, par des clercs, qu’elles-sont uniquement œuvres chrétiennes, et qu’on n’y retrouve pas le paganisme germanique? Il faudrait n’avoir lu ni ces lois elles-mêmes, ni, les savans travaux. De Jacques Grimm. Je voudrais, quant à moi, placer les romanistes extrêmes en présence d’un de ces recueils qu’on appelle Corpus juris germanici. Voici celui qu’a édité Walter, par exemple, en trois volumes in-octavo, comprenant les lois dites barbares, les capitulaires, et ces nombreuses formules qu’un de nos savans, M. de Rozière, a depuis très habilement rééditées. Ajoutons-y les pièces d’un intérêt juridique, politique ou civil, que le recueil de M. Pertz nous a fait connaître; ajoutons-y, ne serait-ce que pour constater l’identité de race et de génie, les lois scandinaves, particulièrement le Cragas, image de cette république islandaises, qui, pendant quatre cents ans, a résumé la civilisation antégermanique fuyant les atteintes romaines et chrétiennes. Je dis qu’à côté du vénérable Corpus juris civilis romani, ce vaste Corpus juris germanici antiqui mérite aussi la sérieuse attention de ceux qui veulent pénétrer l’histoire des institutions et des mœurs de l’Europe occidentale,. spécialement de la France. Ces formules et ces lois germaniques, bien qu’elles aient fait acceptation, sans nul doute, de beaucoup d’élémens romains et chrétiens au moment même où les clercs les mettaient en écrit, contiennent tout un vaste ensemble de dispositions révélant un génie différent du génie classique. On y trouve subsistantes une constitution de la famille, une tradition de coutumes juridiques et civiles, qui trahissent une identité visible avec les témoignages de Tacite et de César. Ces formules et ces-lois ne sont pas lettres mortes ; elles ont constitué, elles ont réglé le développement social de toute une série de générations qui les ont, pour ainsi parler, vécues, soit avant la con-