Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le brillant essor de la chevalerie s’est exprimé surtout dans les œuvres de nos trouvères, différens des poètes du midi par le tour d’imagination et la langue, et restés plus voisins des souvenirs ou de l’influence germanique; à propos de plusieurs pratiques chevaleresques, admission du jeune homme au rang des guerriers, remise solennelle des armes, hommage, serment, exercices et tournois militaires, dévoûment du page et de l’écuyer, respect de la femme, on a pu remarquer de frappantes analogies même avec certains textes de Tacite, au point de vue des institutions purement politiques, on ne saurait nier que le célèbre aphorisme de Montesquieu sur le gouvernement anglais : « ce beau système a été trouvé dans les bois, » ne puisse d’abord étonner. Comment se fait-il cependant que la constitution qui a offert le plus de garanties de liberté politique et civile se soit développée précisément dans le pays de l’Europe occidentale le plus préservé de l’influence romaine, et le plus fréquemment, le plus profondément trempé du flot germanique? N’est-ce pas le lieu d’ajouter qu’on a cru pouvoir suivre jusque dans le domaine religieux les effets de l’esprit d’individualisme qui animait les Germains? On sait qu’ils n’avaient pas de caste sacerdotale telle que les Druides chez les Celtes, et leur culte, rehaussé, ce semble, par une certaine gravité de sentiment religieux, paraît avoir été essentiellement personnel. Or comment expliquer, si ce n’est par l’identité de génie, que la réforme du XVIe siècle se soit produite et propagée surtout chez les peuples d’origine exclusivement germanique? Que l’on considère la réforme protestante comme un retour à la conscience ou comme une rébellion, dans l’un ou l’autre cas il est impossible d’y méconnaître le triomphe du sens individuel et privé. L’antiquité grecque enserrait l’individu dans les bornes étroites de la cité, l’antiquité romaine risquait de l’opprimer sous le poids de l’état; quel excès y a-t-il à croire que, pendant que le christianisme affranchissait les âmes, de nouvelles nations, faisant leur entrée sur la scène historique, apportaient avec elles un sérieux principe de liberté personnelle?

Tour sortir des généralités et rentrer dans le domaine des faits authentiques, y a-t-il un certain nombre d’institutions subsistantes dans l’Europe moderne auxquelles il soit permis d’attribuer avec vérité ou tout au moins avec vraisemblance une ancienne origine germanique? Ceux-là n’hésiteraient pas à répondre par l’affirmative qui, au nom d’études juridiques toutes spéciales, croient pouvoir dans notre code civil faire le départ entre les dispositions romaines et les souvenirs du droit barbare. Ils reconnaissent dans la saisine du droit français les principes de la gewere, ils retrouvent dans la fameuse règle le mort saisit le vif l’axiome identique par lequel