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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/353

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lutte pour se faire une idée de l’insouciant héroïsme avec lequel ils ont combattu. Joseph Dulin, Joly le pêcheur et un jeune soldat de Longpré qui avait déserté de Boulogne, où l’on ne se battait pas, pour accourir dans son village, où il espérait se battre, berlinguèrent, suivant le mot du pays, plus de trente Prussiens à eux trois. « Ah! disent aujourd’hui ces braves gens, si l’affaire avait été bien menée, il n’en serait pas resté un seul; mais nous avions avec nous des hommes qui ne savaient pas seulement tirer un coup de fusil! »

La résistance s’était prolongée jusqu’à la chute du jour; les huttiers n’avaient plus de balles, les fusils encrassés des mobiles ne partaient plus; on avait d’ailleurs trop peu de monde pour tenir tête plus longtemps à un ennemi qui sur quelques points opposait une compagnie tout entière à une dizaine de tirailleurs. Les mobiles battirent en retraite sur Abbeville, les habitans jetèrent leurs canardières dans les puits ou les fossés, et, comme les Prussiens n’avançaient qu’avec une extrême lenteur de peur de quelque surprise, ils eurent le temps de rentrer dans les maisons, ou de se disperser à travers les tourbières glacées des marais.

Longpré devait s’attendre au sort de Bazeilles et de Châteaudun; mais l’ennemi croyait Abbeville plus fortement occupé qu’il ne l’était réellement : il pouvait craindre une attaque, et se hâta de déguerpir, emmenant 120 mobiles prisonniers et 22 otages qu’il menaçait de fusiller. Les soldats avaient lestement pillé quelques caves, un grand nombre d’entre eux étaient ivres à tomber, et, s’il était arrivé quelques troupes, elles en auraient eu facilement raison. On ne vit rien paraître, et vers sept heures du soir les Prussiens rentraient tranquillement à Airaines avec leurs prisonniers. Deux jours plus tard, les journaux allemands publiaient une dépêche ainsi conçue : « Albert, 30 décembre. — Officiel. — Le 28, le colonel Pestel des uhlans, avec une colonne volante de trois compagnies et trois escadrons, a battu, près de Longpré, trois bataillons de gardes mobiles; il leur a pris trois drapeaux, 10 officiers et 230 hommes. De notre côté, il y a eu six hommes blessés. » La dépêche avait oublié de dire que les trois drapeaux, trouvés dans une salle de la mairie, étaient ceux qui, dans les jours de fête, servaient à pavoiser la maison commune et l’école, et que des blessés, des habitans inoffensifs qui ne prenaient aucune part au combat et une femme même avaient été lâchement assassinés. Du reste nous ne voulons point rejeter sur le colonel Pestel la responsabilité des mensonges de la dépêche, car cet officier, à la suite du combat de Longpré, s’est conduit à l’égard des prisonniers civils capturés par ses troupes d’une façon qui contraste honorablement avec l’indigne