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autre ; il y en eut même qui la trouvèrent laide, mais laide tout à fait.

On n’alla pas aussi loin pour le roman, mais la première impression, en Italie du moins, fut peu aimable : la Biblioteca italiana et l’Antologia dirent que Manzoni s’était trompé. Tommaseo crut être indulgent et respectueux en écrivant ceci : « L’auteur des Hymnes sacrées et d’Adelchi s’est abaissé à nous donner un roman, mais il a voulu que ce roman fût le plus possible digne de lui… Si ce livre est fait pour le vulgaire, il est trop haut ; si pour les hommes cultivés, il est trop bas… Pour goûter beaucoup d’expressions, de traits et l’esprit dominant de l’œuvre, il faut avoir vu de près l’ouvrier. On connaît mieux le livre par l’auteur que l’auteur par le livre. » Les romantiques eux-mêmes furent déçus ; il leur parut que le maître se calmait, cela manquait un peu de cavernes et de potences. Niccolini le prenait d’assez haut : à son avis, les Florentines lisaient avec plaisir ce « genre d’ouvrage » particulièrement destiné aux femmes et au peuple, « qui n’est pas idiot, mais qui n’est pas lettré. » D’autres se plaignaient que les héros ne fussent pas des gens de cape et d’épée, et ne pensaient pas pouvoir s’intéresser à des villageois qui ne savaient ni lire ni écrire. Ces opinions dédaigneuses tinrent hon jusqu’en décembre 1827. Ce fut alors que Pietro Giordani, qui faisait autorité en littérature, proclama que le livre était déjà célèbre en Europe, et qu’il s’en réjouissait, qu’il le voudrait lu et relu en Italie « de Dan à Nephtali, prêché dans toutes les églises, dans toutes les auberges, appris par cœur. » Giordani avait raison, les Promessi sposi réjouissaient déjà l’Europe entière. Goethe déclarait à l’excellent Eckermann que c’était l’ouvrage le plus parfait en ce genre (il n’avait pas encore lu Ivanhoë) ; il y admirait tout, le dedans et le dehors, et ne pouvait le lire sans passer à chaque page de l’admiration à l’attendrissement et de l’attendrissement à l’admiration. A son avis, Manzoni ne se montrait tout entier que dans ce roman, et s’y élevait si haut « qu’on pouvait difficilement lui trouver rien d’égal. » C’était la clarté du ciel italien et la saveur du fruit tout à fait mûr. On rencontre rarement de pareils éloges dans les Entretiens, souvent oiseux, de Goethe avec Eckermann. D’autres en Allemagne allèrent encore plus loin dans l’enthousiasme, la France et l’Angleterre firent chorus, et l’Italie se mit enfin de la partie ; les acclamations éclatèrent, les imitations pullulèrent : tout Manzoni a son Cantù. Parmi les copistes déjà périmés, il faut compter le naïf Rosini, qui, après avoir tiré des Promessi sposi une Monaca di Monza délayée en trois volumes, disait à qui voulait l’entendre : « Manzoni ne me pardonne pas que ma Religieuse ait enterré ses Fiancés. » On le voit, aucun genre