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gulariser les effets de la déflagration ; le « chargement allongé, » qui est généralement adopté aujourd’hui, augmente la vitesse des projectiles en favorisant la circulation de la flamme. On sait enfin qu’on peut notablement ralentir l’inflammation de la poudre grenée en y mélangeant des poussières qui bouchent les interstices des grains : c’est un moyen de diminuer les dangers d’explosion dans les magasins ; mais il faut ensuite tamiser la poudre avant d’en faire usage[1].

Comment mesurer exactement la force de cet agent dangereux ? N’est-ce pas comme si on voulait attacher un dynamomètre à la patte d’un lion en fureur ? On a cependant essayé. Il s’agissait d’abord de déterminer par l’observation directe la tension des gaz dans la chambre à feu. Les premières expériences sérieuses sont dues à un homme curieux à bien des titres.

Vers la fin du siècle dernier, Benjamin Thomson, comte de Rumford, « physicien et philanthrope, » dirigeait les ateliers de l’arsenal militaire de Munich. Après avoir servi dans l’armée anglaise pendant la guerre des États-Unis, il était entré au service de la Bavière, où il devint lieutenant-général, ministre de la guerre, directeur de la police, et où il fit des recherches sur le pouvoir nutritif des substances alimentaires, sur les moyens d’économiser le combustible, et sur une foule d’autres sujets dont le choix dénote un esprit d’une portée peu commune. Il vint plus tard se fixer en France, et épousa la veuve de Lavoisier. C’est lui qui, vers 1798, soupçonna la théorie mécanique de la chaleur en constatant l’échauffement du métal pendant le forage des canons. Pour démontrer que la source de la chaleur était bien le frottement, il imagina cette expérience : dans un cylindre de fer entouré d’eau, un cheval fit tourner un pilon pendant deux heures et demie, et au bout de ce temps l’eau entrait en ébullition. Tout le monde était émerveillé, et Rumford lui-même avoue que ce résultat lui causa un plaisir enfantin, « que j’aurais dû cacher, dit-il, si j’avais ambitionné la réputation d’un grave philosophe. » Ayant ainsi découvert une source inépuisable de calorique, il en conclut que la chaleur est du mouvement ; mais il trouve ce procédé de chauffage peu économique, « car la simple combustion du fourrage d’un cheval donnerait plus de chaleur que n’en ferait naître son travail. » On voit combien Rumford approchait de la grande doctrine de l’équivalence, qui domine aujourd’hui les sciences physiques. Ses célèbres expériences sur la poudre ont été faites en 1792 avec un canon en

  1. On a proposé à cet effet une poussière de charbon de bois et de graphite, du verre pilé et d’autres substances.