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qu’il apporte à ceux de nos ennemis qui vont recherchant partout dans noire littérature les signes de notre décadence morale.

Est-ce donc un romancier sans valeur que M. Zola ? Assurément il y a de la puissance dans quelques parties de ses ouvrages, celles où la débauche n’a pu trouver place. Les intrigues de Félicité Rougon, dans la première étude, sont conduites avec une véritable dextérité. Les bourgeois de Plassans, qui tour à tour triomphent ou tremblent avec une irrémédiable couardise, présentent un tableau comique un peu sombre, mais exact et franc. Ce talent fait plus tristement ressortir la vulgarité, la violence, nous allions dire l’obscénité des autres études. M. Zola d’ailleurs, par l’exagération de ses défauts, nous permet de discerner les causes qui ont perdu tant de romanciers contemporains et qui le perdront à son tour, s’il persiste dans la même voie. C’est d’abord une confusion constante entre la violence et la force, la brutalité et l’énergie. Toute qualité semble médiocre, si elle n’est outrée. Nous y apercevons aussi la manie d’introduire la science dans l’art par l’étude physiologique substituée à l’observation morale. Les artistes semblant en cela bien peu soucieux de leur dignité, car le domaine du sentiment, où ils règnent, restera toujours en dehors de la science, qui n’atteindra jamais l’âme, et tel se plaît à écrire des phrases ridicules sur les tempéramens qui aurait pu enrichir notre littérature d’une création idéale comparable à Edmée ou à Colomba. Les audaces des prédécesseurs pèsent aussi sur les réalistes et leur font trop rechercher le scandale. En écrivant de la prose lyrique, on passe pour un homme d’imagination, et pour un homme de hardiesse en niant toute loi. Le culte de la laideur semble à certaines gens de l’observation. Peut-être enfin cette vigueur apparente n’est-elle qu’une stérilité de pensée et de sentiment : avec quelque travail et des modèles, il est commode de décrire par adjectifs ; au contraire rien n’est beau, rien n’est rare comme d’observer les autres et soi-même avec sincérité. C’est là qu’il faut tendre cependant, et M. Zola n’a encore rien écrit qui puisse intéresser à ce point de vue. Son œuvre est donc jusqu’ici non avenue, elle ne servira qu’à étudier l’extrême déviation du goût contemporain. S’il a voulu donner le modèle d’un monstre, il a réussi, et c’est à ce titre que nous l’avons examiné.

M. Feydeau s’indignerait à coup sûr d’être mis en parallèle avec M. Zola et classé dans la même école. Nous ne le comparerons qu’à lui-même, et, rapprochant le Lion devenu vieux du roman de Fanny, nous dirons simplement : des qualités malsaines, énergiques parfois, qui ont fait le succès de ses premiers livres, il ne reste aujourd’hui qu’une prétention insupportable. M. Feydeau a raconté quelque part que ses amis lui reprochaient trop d’éloquence, trop de passion ; il a voulu, pour nous servir du vocabulaire moderne, composer une œuvre plastique, il a eu l’ambi-