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bite de pareilles tirades. — Est-il nécessaire de poursuivre cette étude ? Nous ne le croyons pas. L’indignation que soulèvent certaines parties du tableau ne saurait s’émouvoir longtemps en présence d’une telle médiocrité. Il y a bien des années que M. Feydeau vivait sur le succès de Fanny. Le Lion devenu vieux lui porte le dernier coup.

On ferait injure à M. Malot en mettant ses derniers romans sur le même rang que le Lion devenu vieux. Le Curé de province et le Miracle sont des œuvres honnêtes, consciencieuses, dont le seul défaut est de distiller l’ennui. M. Malot y raconte longuement les luttes que soutient l’abbé Guillemites, curé de Hannebault, pour l’édification d’une nouvelle église. Ce digne curé poursuit son rêve en dépit de son évêque, de ses paroissiens et de son maire, qui, tous, les uns après les autres, se tournent contre lui. Une telle persévérance est récompensée, l’église s’élève, il s’y accomplit même un miracle. — M. Malot a sans doute voulu écrire un chapitre de l’histoire du clergé catholique en France au XIXe siècle ; il a oublié qu’il écrivait cette histoire sous la forme de roman, car jamais pareil amas de petits faits inutiles, de caractères vulgaires, sans idées et sans intérêt, de situations mesquines, n’a écrasé de son poids l’esprit du lecteur. Le réalisme innocent de ce récit ne mérite pas d’autre blâme. C’est à M. Malot de voir s’il ne serait pas temps de quitter ce genre facile et trivial pour l’étude des passions vivantes. Les romans qui soutiennent une thèse sont parfois plus faux que le Curé de province ; qui ne les préférerait pourtant, malgré leurs erreurs mêmes, à cette exactitude indifférente, à ce style terne, à ces dialogues anodins, sans choix et sans vigueur ? — À force de se défier des idées, on oublie que l’âme humaine en est faite, et cet oubli est la mort du talent. Le Mariage sous le second empire et la belle Madame Donis prouvent plus tristement encore cette vérité. Un vicomte de Sainte-Austreberthe ruiné par le jeu entreprend la conquête d’une riche héritière de Bordeaux. Le procédé est le même que dans le Curé de province ; une intrigue commune sert de prétexte à des descriptions de caractères peu intéressans. Le réalisme avorte dans les deux sens, il aboutit avec M. Zola à des exagérations aussi ridicules qu’odieuses, avec M. Malot à des faiblesses qui touchent de bien près à la platitude.

MM. Erckmann et Chatrian ne se rattachent aux réalistes que par le choix populaire de leurs sujets et par l’emploi de certains moyens descriptifs. Ils se séparent des écrivains indifférens aux idées par des tendances souvent généreuses ; mais nous touchons ici du doigt, pour ainsi dire, l’invisible lien qui rattache une conception peu élevée de l’art à une conception analogue dans le domaine des principes. Ils s’abandonnent trop facilement à eux-mêmes, ils se livrent un peu au hasard de leur inspiration, ils ne savent pas assez s’arrêter au point précis où le mauvais goût et la déclamation commencent. Aussi cette complaisance peu sé-