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fond de leur pensée à l’égard de la France. L’affaire du Sonderbund et des cantons radicaux de la Suisse en 1847, affaire qui passionna si vivement Frédéric-Guillaume IV comme prince de Neufchatel, — le parlement de Francfort et la constitution d’un empire d’Allemagne offert à la Prusse par la démocratie germanique, — enfin la guerre de Crimée, l’abstention de la Prusse, et la démission de Bunsen qui eût voulu soutenir comme ambassadeur à Londres une politique tout opposée à celle du roi, voilà les trois événemens décisifs dans cette histoire. Je raconterai d’abord comment le jeune prince et le jeune savant se prirent l’un pour l’autre d’une affection si tendre ; je dirai ensuite la longue bataille, toujours si amicale, quoique si vive, du souverain et de son ministre.


I

Au mois de décembre 1822, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, accompagné de deux de ses fils, était venu visiter à Rome le pape Pie VII. C’était le moment où la politique de la sainte-alliance triomphait par toute l’Europe. Les puissances non catholiques étaient dans les meilleurs termes avec le saint-siège. Si le souverain pontife avait recouvré ses états après la chute de Napoléon, il le devait à la Russie, à la Prusse, à l’Angleterre, autant qu’à la France et à l’Autriche. L’année précédente, à la suite de négociations très attentives avec l’ambassade prussienne à Rome, Pie VII avait réglé par une bulle la situation des catholiques dans le royaume de Prusse. Ce n’était pas, à proprement parler, un concordat entre Rome et Berlin, c’était du moins une première ouverture qui promettait des relations plus étroites. Le roi Frédéric-Guillaume III s’était empressé de donner sa sanction à la bulle de Pie VII. Il ne s’en tint pas là ; bien sûr de l’accueil qu’il trouverait auprès du pape, il désira lui rendre visite et s’entretenir directement avec lui des affaires ecclésiastiques de son royaume. C’est ainsi que Frédéric-Guillaume III se trouvait à Rome, au mois de décembre 1822, avec deux de ses fils, le prince Guillaume et le prince Charles.

Quand des souverains ou des princes venaient visiter Rome au temps où les papes y régnaient, il était d’usage que la cour du Vatican mît à leur disposition les plus habiles ciceroni, les meilleurs juges en matière d’art, les maîtres de l’archéologie païenne et chrétienne. Cette fois on n’eut pas besoin de s’adresser aux savans italiens ; les deux ciceroni compétens entre tous se trouvaient au palais Caffarelli, à l’ambassade prussienne. Le premier, c’était l’ambassadeur lui-même, George Niebuhr, mauvais écrivain, historien systématique, mais érudit du premier ordre et initié à tous les