Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/507

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

secrets de la science des monumens. Le second était un jeune conseiller de légation, Christian-Charles-Josias de Bunsen. Comme son maître Niebuhr, Bunsen était passionné pour les recherches historiques, et, sans négliger ses devoirs de diplomate, il pensait que sa grande affaire à Rome était l’étude de Rome. Il y habitait déjà depuis six ans. Né en 1792 dans une petite ville de la principauté de Waldeck, il avait consacré sa jeunesse aux plus fortes études. Son ambition était de renouveler l’histoire des religions afin de mettre en toute lumière la divine grandeur du christianisme ; pour cela, il voulait relever en Allemagne les études orientales, qui n’étaient plus cultivées, disait-il, qu’à Londres et à Paris[1]. Il avait eu un ardent désir de s’établir quelque temps à Calcutta, dans l’espérance d’y soulever un monde. Comme notre Eugène Burnouf, il aurait voulu s’emparer des clés de l’Orient. N’ayant pu réaliser ce projet, il s’était attaché à la fortune de Niebuhr, et c’était l’amour de la science qui avait fait de lui un diplomate. Il ne comptait pas du reste conserver longtemps son poste. Arrivé à Rome en 1816, il s’y était marié l’année suivante avec une jeune Anglaise, miss Waddington, dont la famille jouissait d’une haute estime en France comme en Angleterre, et qui lui apportait, avec tous les dons de l’esprit et du cœur, les avantages de la fortune. Assuré d’un bonheur sans nuage, délivré des soucis de l’existence, le jeune savant était bien décidé à se consacrer tout entier à ses études de prédilection. Le jour où Niebuhr prendrait sa retraite, et ce jour semblait proche, Bunsen avait résolu de renoncer à la diplomatie. Les incidens de sa vie devaient en décider autrement, et parmi ces incidens il faut signaler l’épisode du mois de décembre 1822, la visite faite à Pie VII par le roi de Prusse et ses deux fils.

Niebuhr eut naturellement l’honneur d’accompagner Frédéric-Guillaume III dans la ville éternelle, de lui en montrer les musées, les églises, les monumens sans nombre, tout ce que les siècles y ont accumulé de richesses et de ruines, tout ce qui faisait dire à notre vieux poète angevin Joachim du Bellay :

Rome vivant fut l’ornement du monde,
Et, morte, elle est du monde le tombeau.

Bunsen fut le cicerone des jeunes princes. Le plus âgé des deux, le prince Guillaume, avait vingt-trois ans ; c’est celui-là même à qui la funeste guerre de 1870 vient de donner l’empire d’Allemagne. L’autre, le prince Charles, avait vingt-ans. L’aîné de la famille, le prince royal, celui qui devait être un jour

  1. Il écrivait cela de Berlin le 14 novembre 1815.