dernières paroles : oh ! my country ! » Le prince royal ressentait les mêmes anxiétés, et Bunsen, qui reviendra plus tard avec tant de confiance aux idées libérales, s’attendait aussi aux crises les plus funestes. En se confirmant l’un l’autre dans ces idées, ils s’efforçaient d’y échapper par l’étude. C’est le moment où Bunsen s’occupe de fouilles archéologiques à Rome pour le compte de son ami ; Frédéric-Guillaume le presse de questions sur le forum, sur la colonne trajane, sur la topographie de la vieille ville et de la ville des césars. Il a besoin de ces distractions, écrit-il à Bunsen le 30 avril 1836, « car tout lui apparaît à Berlin sous un jour sombre et misérable. » Savez-vous ce qui lui donne cette humeur noire ? il vient d’apprendre que les princes d’Orléans vont arriver à Berlin pour les manœuvres du printemps ; il ajoute : « À Vienne aussi, on les attend à bras ouverts. Tout cela m’est si dur que j’en pleurerais. »
L’histoire impartiale a raconté le voyage des princes d’Orléans à Berlin en 1836, elle a dit le cordial accueil qu’ils reçurent, les succès qu’ils obtinrent, succès de si bon aloi que le roi de Prusse voulut contribuer de sa personne aux négociations qui amenèrent le mariage du duc d’Orléans avec une des plus nobles princesses d’Allemagne. On savait tout cela ; savait-on aussi que des sentimens tout opposés avaient pu se faire jour chez le prince royal, élève si respectueux de son père, et plus tard si fidèle continuateur de sa politique ? C’est aujourd’hui seulement que ces révélations nous arrivent[1]. Il est bon d’en prendre note, ne fût-ce que pour compléter le tableau dont nous ne possédions qu’une partie. Si ces détails n’intéressaient qu’une personne ou une famille, ce ne serait
- ↑ M. Guizot avait fait allusion dans ses Mémoires à ces dispositions des cours allemandes ; mais les expressions si mesurées dont il se sert ne laissaient pas soupçonner la violence des sentimens exprimés ici par le prince royal de Prusse. Voici les paroles de M. Guizot ; il est question de la mort du duc d’Orléans le 13 juillet 1842 et de la part que les cours étrangères prirent au deuil de la famille royale : « En Allemagne, dans son voyage à Berlin et à Vienne, M. le duc d’Orléans, par l’agrément de sa personne et les qualités de son esprit, avait surmonté des préventions peu bienveillantes et laissé en souvenir populaire ; mais les grandes cours du continent, et la plupart des petites à leur exemple, n’avaient pas cessé d’avoir peu de goût pour le roi Louis-Philippe et pour tout l’établissement de 1830, régime libéral issu d’une révolution. On se plaisait à lui témoigner des froideurs frivoles, à énumérer ses embarras, à douter de son succès. Seulement, quand l’inquiétude sur sa solidité devenait un peu sérieuse, elle ramenait la justice et le bon sens, et l’on s’empressait alors à lui donner les marques d’un prudent intérêt. Dès qu’ils apprirent la mort de M. le duc d’Orléans, l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse, tous les souverains de l’Europe adressèrent au roi son père leurs lettres autographes de condoléance, quelques-unes sincèrement émues. » Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. VII, p. 16. — Évidemment M. Guizot ne savait pas que le prince royal de Prusse, en 1836, avait peine à retenir des pleurs de rage en voyant les princes d’Orléans venir en visite à Berlin.