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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/510

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constamment, si fidèlement, et quelles lettres ! de l’une à l’autre l’intérêt allait croissant toujours. Et moi ! voilà bientôt un an et demi que j’ai pris congé de vous, le cœur bien serré, à Vérone, alle duo torri presso santa Anastasia, et je n’ai pas encore pris la plume pour vous adresser des paroles amies. Elles sont là pourtant qui remplissent mon cœur et se pressent sur mes lèvres, impatientes d’aller à vous, cher Bunsen. Riez, je vous en supplie, si je vous répète aujourd’hui encore que je vous suis reconnaissant du fond du cœur de tout ce que vous avez fait pour moi dans la Rome éternelle et sur la terre d’Italie ; il faut pourtant que je vous le dise, car cela m’étouffe.

« FREDERIC-GUILLAUME. »


Quelques semaines après, il rendait compte à Bunsen d’un projet qui les intéressait vivement tous les deux. Le palais où était établie à Rome l’ambassade prussienne appartenait au duc de Caffarelli ; il s’agissait d’en faire l’acquisition. Le prince royal ne cessait de harceler à ce sujet les lenteurs du ministère, et, parlant à Bunsen de ses espérances, il terminait sa lettre par ces mots : « quelle joie, si un heureux destin me ramène à Rome, quelle joie d’y trouver un foyer qui soit à nous et des amis in maximis, quelle joie d’y prier avec eux in san Salvatore soprà Giove ! O divin songe d’une nuit d’été ! »

Entre ces deux premières lettres du prince (avril et mai 1830) et le jour où il montera sur le trône s’étend une période de dix années, période agitée, tumultueuse, qui va renverser le système de la sainte-alliance et fournir aux deux amis les plus graves sujets de méditations politiques. Accoutumés que nous sommes à juger les événemens de juillet 1830 d’après le sentiment presque général de la France, nous ne tenons pas assez compte du point de vue où se plaçait l’Europe pour les apprécier. Les esprits les plus modérés parmi nous y voyaient une révolution, regrettable peut-être, mais rendue inévitable par la faute du roi Charles X, et qui, après tout exempte de violences, avait été tout ensemble réparée et honorée par des monarchistes amis de la liberté comme de l’ordre public. En Russie, en Prusse, en Autriche, en Bavière, dans tous les états secondaires de l’Allemagne, on y voyait surtout une reprise du mouvement révolutionnaire arrêté en 1815 par la victoire de la coalition, le congrès de Vienne et la sainte-alliance. Telle fut l’impression des personnages auxquels est consacrée cette étude. Niebuhr se représentait déjà l’Europe en feu, la révolution déchaînée, la civilisation chrétienne frappée au cœur ; on affirme qu’il en est mort. « Il est mort comme Burke, écrit Bunsen à Brandis le 22 janvier 1831, il est mort comme Pitt après Austerlitz et la chute de l’empire d’Allemagne ; il aurait pu s’approprier ses