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pas cette fois à employer contre Lucerne leurs moyens ténébreux, ils résolurent de lever des corps-francs et d’attaquer Lucerne à main armée. On vit alors, en pleine civilisation, 8,000 condottieri commandés par un chef nommé Ochsenbein, déclarer la guerre à un des cantons de la Suisse, sans que le gouvernement de la Suisse songeât à empêcher cette agression odieuse. Lucerne se défendit avec vigueur ; les corps-francs d’Ochsenbein furent chassés à coups de fusil. Cependant la victoire de Lucerne n’assurait pas la sécurité des cantons catholiques. L’attitude de la diète ne cessait pas d’être inquiétante et l’entreprise qui venait d’échouer pouvait se renouveler au premier jour. Les pays menacés ne pouvaient plus compter que sur eux-mêmes. C’est alors que se forma une alliance défensive entre les cantons de Lucerne, d’Uri, de Schwytz, d’Unterwalden, de Zug, de Fribourg et du Valais. On l’appela Sonderbund, c’est-à-dire ligue séparée ou fédération particulière. En réalité, quels que fussent les termes de l’alliance conclue, il n’y avait là aucun traité contraire au pacte fédéral, aucun acte de séparation illégale. Les gouvernemens des petits cantons ne faisaient qu’exercer un droit naturel et remplir un devoir impérieux ; ils avaient certainement le droit et le devoir de se concerter pour leur défense, puisque le gouvernement de la patrie commune ne les protégeait plus. La défaite des corps-francs d’Ochsenbein par le général de Sonnenberg, commandant des troupes de Lucerne, avait eu lieu le 1er avril 1845. Après bien des agitations, dont le détail n’appartient pas à ce récit, M. Ochsenbein, envoyé à la diète par les radicaux de Berne, était devenu en 1847 président de la confédération. Le dénoûment de la crise approchait. Le chef battu des corps-francs allait prendre sa revanche en subjuguant les cantons catholiques au nom de la Suisse, comme un chef d’état soumet des provinces rebelles.

Tel est, dans ses traits principaux, le résumé de cette histoire[1].

  1. Aux lecteurs qui désireraient plus de détails sur l’histoire du Sonderbund, nous signalons deux études publiées ici même par M. Adolphe de Circourt et par M. le comte d’Haussonville. M. de Circourt a exposé avec précision l’état des partis et l’enchaînement des faits (la Suisse en 1847. Des Révolutions et des partis dans la confédération helvétique, voyez la Revue du 15 mars 1847) ; — M. le comte d’Haussonville, jugeant les choses du dehors, s’est attaché à faire connaître le rôle de la politique française dans cette grave question (De la politique extérieure de la France depuis 1830. Rapports de la France avec la confédération helvétique. Affaires de Suisse jusqu’à la révolution de février, livraison du 1er février 1850). M. de Circourt nous révélait des complications dont le dénoûment n’était pas encore connu ; M. le comte d’Haussonville, écrivant trois ans plus tard, avait en main toutes les pièces et embrassait de plus haut l’ensemble des événemens. Tous les deux, malgré la différence des points de vue, ont protesté contre les violences qui ont rendu nécessaire de 1845 à 1847 la formation de la ligue séparée.