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père et de cette mère. Tout ce que je fais dans la question suisse a pour principe le fond même de ma conviction, que je viens de vous montrer à nu, mon digne ami. Ma loyale affection pour mon cher Neufchatel, mon Neufchatel héroïquement fidèle et dévoué à l’honneur, est tout à fait d’accord avec la suite raisonnée de mes pensées et de mes actes, et loin de déplacer ma situation dans l’affaire de Suisse même de l’épaisseur d’un cheveu, elle ne peut que l’affermir, cela est de toute évidence. La convocation d’une conférence à Neufchatel sauvera la ville et le pays des bouleversemens dont les menace le terrorisme radical, elle seule les sauvera des meurtres, des profanations, des violences sauvages qui désolent en ce moment Fribourg et Lucerne, scènes d’horreur qui crient au ciel ! — Dites à lord Palmerston, à lord John Russell, au noble Peel, au prince, à la reine elle-même, s’il se présente une occasion convenable, que je ne suis pas un prince de Neufchatel en l’air, un prince de Neufchatel pour rire, que le courage du peuple et des autorités me fait un devoir de conscience d’intervenir avec un courage égal au nom de ce petit pays si honnête, si pieux, si fidèle, d’intervenir comme son prince et son protecteur, mais que l’action commune des puissances en faveur des Suisses fidèles à l’honneur et contre les Suisses sans honneur peut seule me mettre à couvert d’une compromission, et préserver mon Neufchatel de la contagion de l’impiété. Tout ce que fera dans ce sens her majesty’s government, je le considérerai avec reconnaissance comme un acte d’égard personnel pour moi, le plus fidèle allié de la Grande-Bretagne. Dites cela avec toute la chaleur de votre cœur, très cher Bunsen. Vous gagnerez les récompenses de Dieu, et mes liens avec l’Angleterre en deviendront plus forts et plus intimes. Cela est certain, aussi certain que les conséquences contraires dans le cas contraire.

« Sur ce, bon succès, et que Dieu vous garde ! Dieu est en aide aux gens de cœur.

« FREDERIC-GUILLAUME, »


Bien que le radicalisme suisse fût vainqueur au jour même où Frédéric-Guillaume IV écrivait cette lettre, tout n’était pas encore fini. Les grandes puissances, qui ne s’étaient pas concertées à temps pour empêcher la guerre civile, pouvaient encore empêcher les radicaux d’abuser de la victoire. C’est ce que demandait le roi de Prusse, et il ne le demandait pas seulement au nom de l’ordre européen, comme les autres souverains de l’Europe, il le demandait comme prince de Neufchatel. S’il croit que Bunsen n’a pas assez insisté sur ce point, s’il se figure que les ministres whigs à Londres n’ont pas pris au sérieux ses droits princiers sur le canton suisse, il gourmande son ami et lui fait toute une leçon d’histoire qui devra être répétée à lord John Russell et à lord Palmerston. Neufchatel était un fief de la maison d’Orange ; ce fief devint libre à la mort