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de la dernière princesse, Mme de Nemours-Longueville, et peu importe que Louis XIV alors l’ait pris ou ne l’ait pas pris par la force, il n’en revenait pas moins de droit à la maison d’Orange. Le dernier prince de la branche aînée de cette maison était le roi d’Angleterre Guillaume III ; quand il mourut, Frédéric Ier, roi de Prusse, devint prince légitime d’Orange, et le petit fief de Neufchatel se donna spontanément à lui comme à son maître et seigneur. Voilà ce que M. de Bunsen était chargé d’expliquer au ministère anglais. On lui dira peut-être que « tout cela sent le moyen âge à 40 lieues. » Qu’il n’aille pas se déconcerter ; sir Robert Peel doit avoir le goût de l’histoire, « lui qui a tout ensemble le sens d’un duc et le cœur d’un citoyen. » Au reste, qu’on s’intéresse ou non à l’histoire, il faut qu’on tienne compte du droit. Le droit est évident. Ni Frédéric-Guillaume IV, ni le roi son père, en permettant à la Suisse de compter Neufchatel parmi ses cantons, n’ont abdiqué les droits effectifs de leur principauté. Ce n’est pas pro forma, et pour augmenter la liste de ses titres, qu’il signe prince souverain de Neufchatel et comte de Valengin ; ils sont attachés, son petit peuple et lui, par un lien de droit et par un lien de cœur. « Et maintenant, ajoute le roi, je vous demande, je demande à lord John, je demande à lord Palmerston, au good old honest John Bull en personne, ce que je serais, qui je serais, si par des considérations politiques je laissais là mes rapports avec ce peuple de Neufchatel, dans un moment où tous les cœurs, où tous les organes du pays n’ont de protection et d’appui qu’en moi seul contre une oppression formidable, contre le péril d’être traités comme Fribourg, comme Lucerne, où les prêtres sont massacrés, insultés, réduits au silence, où les églises sont profanées, les maisons pillées et brûlées, où de nouveaux gouvernemens sont établis par la populace (c’est le juste mot qui convient ici), par une populace qu’ont ramassée en tous lieux des chefs d’une impiété scandaleuse. Pour moi, la réponse n’était pas douteuse. J’avais à témoigner à la face du monde que j’ai un cœur pour remplir mes devoirs de prince, un cœur pour répondre à l’amour, à la confiance, à la fidélité, un cœur pour ressentir les angoisses et entendre les supplications des miens. J’ai fait mon devoir ; advienne ce que Dieu voudra ! »

Ces paroles se rapportent à des actes personnels du roi, qui ne nous sont révélés ni par les lettres publiées récemment ni par les mémoires de Bunsen, mais qu’il est facile de deviner. Le roi de Prusse, dans ses communications avec la diète helvétique, avait dû s’avancer beaucoup plus qu’il ne convenait à la politique anglaise, beaucoup plus même que ne le souhaitait le cabinet des Tuileries, M. Guizot ayant mis tous ses soins à faire en sorte que l’intervention militaire des grandes puissances ne devînt pas une nécessité.