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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/530

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pourquoi il persiste dans sa manière de juger les affaires de Suisse, pourquoi il pense toujours à la Suisse, pourquoi il en parle sans cesse, même après que la révolution de 1848 devrait lui fournir de bien autres sujets de méditations sociales. M. Guizot a pu se reprocher dans ses mémoires d’avoir confié les affaires de Suisse à M. de Bois-le-Comte, « homme d’expérience et de devoir, capable, courageux et fidèle, mais trop prévenu pour le parti catholique, et trop enclin à en espérer le succès. » La cause était bonne, c’était la cause du droit, du véritable libéralisme si éloquemment défendue par Montalembert ; seulement, dans son zèle pour une cause qui lui était si chère, M. de Bois-le-Comte s’était fait de grandes illusions sur l’issue de la lutte. Il avait induit le gouvernement en erreur. « Si nous avions mieux connu les faits et mieux apprécié les chances, ajoute M. Guizot, nous aurions tenu le même langage et donné les mêmes conseils ; mais nous aurions gardé l’attitude de spectateurs moins inquiets et plus patiens. » Qu’il y a loin de cet aveu aux sentimens de Frédéric-Guillaume IV ! Le roi de Prusse est plus assuré que jamais de l’exactitude de ses prévisions. La révolution de 1868 a ébranlé l’Europe ; l’Allemagne est en feu, le sang a coulé à Vienne et à Berlin, une grande convention nationale est l’assemblée à Francfort ; qui donc s’occupe encore de la Suisse ? qui donc s’inquiète encore de M. Ochsenbein, ancien chef des corps-francs battus par Lucerne, et président de la confédération ? Personne sans doute. Vous vous trompez ; il y a un homme qui continue à disserter sur les événemens du Sonderbund, c’est le roi de Prusse. Il écrit à Bunsen, et, s’il lui raconte l’insurrection du 18 mars à Berlin, il semble lui indiquer un simple épisode d’une révolution bien autrement vaste commencée l’année précédente. Tout ce qui se passe en Allemagne et en France n’est que la suite de la victoire remportée par les cantons radicaux sur les cantons fidèles au vieux pacte fédéral. Bunsen osera-t-il encore affirmer que c’était là une affaire toute locale entre protestans et catholiques ? Osera-t-il nier qu’il y ait en Europe une grande conspiration révolutionnaire ? Ou bien le roi est un visionnaire effrayé par des fantômes, ou bien l’ambassadeur est une dupe. Là-dessus le roi éclate, il prend Bunsen à partie, il lui pousse l’épée dans les reins ; c’est une charge à fond. L’amitié n’est pas en cause assurément, mais la conscience même qu’il a de ses sentimens inaltérables pour l’ami de sa jeunesse l’enhardit à parler plus librement. Quelle ironie au milieu des paroles émues ! quels coups de boutoir entremêlés de caresses ! Je traduis la lettre tout entière :


« Potsdam, 13 mai 1848.

« J’ai quelque chose contre vous, mon cher, mon très cher Bunsen,