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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/564

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même réunis, élabores, combinés, donner naissance à un atome de moralité. Or l’ordre social tout entier repose sur l’idée du droit ; les rapports sociaux ne sont explicables et vraiment justifiables que par les rapports moraux, comme la légalité par la légitimité. C’est ainsi que se rompt pour toujours l’accord provisoire, l’équivalence momentanée du déterminisme et du libre arbitre.

Non, le droit social n’est pas engendré et ne peut pas l’être par l’utilité, par l’intérêt du plus grand nombre, même par l’intérêt de tous ; en dehors, il y a encore le droit, que rien de tout cela ne constitue. Telle est la ferme doctrine de M. Fouillée, et si elle est encore incomplète par ce qu’elle ne dit pas, elle est au moins irréprochable par ce qu’elle affirme. Le droit, c’est la reconnaissance et la garantie de l’inviolabilité de la liberté de chacun. La justice sociale, c’est l’accord réciproque de ces libertés. De là se déduit sans effort la pénalité ; elle se résout dans le droit de défense appliqué à la garantie de la personne humaine. Il y a un droit, c’est celui de la personne. Donc il y a un droit de le défendre, puisque c’est défendre la personne même. Le droit social n’est pas autre chose que le transfèrement dans les mains de l’état de ce droit individuel que chacun possède naturellement de garantir sa personnalité contre les envahissemens ou les entreprises d’autrui. Il reste le même en passant de l’individu à l’état ; il ne change pas de nature, il est toujours le droit, le même droit, seulement généralisé. Voilà bien, à ce qu’il me semble, les élémens de la théorie de M. Fouillée, dont il faut recueillir à travers le livre les fragmens dispersés, comme les échos errans de la même voix.

Ainsi résumée, et le crois qu’elle l’est exactement, la théorie de M. Fouillée n’a plus rien à craindre des critiques qui ne lui ont pas été ménagées. Elle se distingue très nettement de toutes les théories inférieures, qu’elle a l’air de n’accepter un instant que pour les traverser et les dépasser. Elle s’élève de la sphère extérieure et physique au monde intime de la conscience, où nous devons chercher les derniers fondemens des droits ou des devoirs sociaux, et là dans le sanctuaire de la personnalité libre, elle trouve la base inébranlable de la pénalité.

Reste à savoir s’il n’y a pas autre chose dans cette idée, et si l’auteur rend un compte suffisant de tous les élémens qu’elle contient. Nous ne le pensons pas. Que l’origine historique et logique de ce droit social se trouve dans le droit individuel inhérent à chacun, de défendre sa personnalité, j’y consens ; que ce droit de défense se distingue très nettement de celui qu’invoquent les déterministes par l’intervention de cet élément moral, qui en est la véritable justification, et qui pour eux se réduit au besoin, je le reconnais volontiers ; mais, une fois ce droit transféré à la société, il n’est pas