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de morale, ce pensez-y bien en abrégé affiché contre la muraille est un de ces menus détails qui, comme le bénitier ou le crucifix qu’on rencontre mainte fois au chevet de son lit, dans les auberges du Poitou et du Limousin, avertissent le voyageur de l’esprit du pays dans lequel il est entré. Quel que soit l’esprit du Bourbonnais en général, je répondrais qu’à Moulins au moins les habitudes de dévotion dominent. Nombre d’autres petits faits viennent, pendant mes promenades, s’ajouter à ce premier détail pour en confirmer le témoignage. Par exemple j’entre dans la cathédrale de Notre-Dame, et le remarque que le très joli saint-sépulcre qui est ingénieusement placé sous l’ombre du chœur comme une grotte sous l’ombre d’un rocher est littéralement jonché de fleurs ; des fleurs aux pieds et sur le corps du Christ, des fleurs autour du sépulcre, des couronnes non-seulement à la Vierge et aux saintes femmes, mais au bon Nicodème et au bon Joseph d’Arimathie. Même remarque à l’abbaye de Souvigny, où dort la mémoire des anciens ducs de Bourbon. La saison n’y fait rien ; j’ai vu Notre-Dame de Moulins à toutes les époques de l’année, ce saint-sépulcre est toujours orné de fleurs, même lorsqu’il n’y en a plus dans la nature. Quant à l’église elle-même, à toute heure du jour elle est animée d’un pieux mouvement par le va-et-vient des fidèles, et il m’a toujours fallu en sortir sans y avoir goûté le plaisir de m’y promener solitaire.

Cette église si bien hantée est la plus ancienne de Moulins, et cependant elle ne remonte pas plus haut que les dernières années du XVe siècle. Avant cette époque, Moulins n’avait jamais eu d’église, et les habitans étaient obligés d’aller chercher le service divin. à un quart de lieue de là au prieuré d’Yseure ; ce fait dit assez combien lents furent les progrès de cette ville, qui fut à l’origine un rendez-vous de chasse des ducs de Bourbon. Enfin vers les dernières années du XVe siècle, Jean II de Bourbon jeta les fondemens d’une collégiale, Pierre de Beaujeu et sa femme Anne, l’illustre et digne fille de Louis XI, la tutrice de Charles VIII, la continuèrent, mais alors la fortune en arrêta l’achèvement. À ce moment, le vent changea subitement pour la maison de Bourbon. Longtemps réduite à un rôle restreint et secondaire, sans perspective royale, quoique par son origine elle fût en réalité plus rapprochée du sang de saint Louis que la maison régnante, elle avait concentré ses ambitions dans ses propres domaines, qu’elle avait sagement agrandis par de politiques mariages avec les maisons voisines du Forez, du Beaujolais, de l’Auvergne. Tout à coup les événemens, soulevant son robuste vaisseau, le portèrent à une hauteur prodigieuse. Charles VIII et Louis XII étant morts sans enfans, et toutes les branches de la maison de Valois étant réduites à une seule, la maison de Bourbon se trouva singulièrement